L’analyse du Docteur Frank Martinez, sur deux méga-études observationnelles à financement institutionnel (donc indépendantes de l’industrie du café) ne laisse pas de place au doute : le café n’est pas délétère sur la santé et il émerge un bénéfice tant sur le plan cardiovasculaire que néoplasique. On sait aussi que d’autres études ont établi que le café est bénéfique sur la détérioration cognitive. L’inconvénient de ces très grandes cohortes est qu’il est difficile de préciser qui consomme quel type de café ; les connaisseurs savent bien différencier le « café américain » et l’expresso, le café filtré à l’européenne… Les qualités gustatives sont bien différentes, mais qu’en est-il des effets analysés dans ces travaux de grande envergure ? Sans doute, existe-t-il un dénominateur commun bénéfique. Les chercheurs devront préciser quels constituants du café, ou quel ensemble de constituants, sont les plus bénéfiques. Dès à présent, il semble légitime de rassurer les consommateurs de café et aussi les autres : le café ne leur veut pas de mal !
De la même façon qu'il existe un débat sur les bienfaits et les méfaits de la consommation d'une faible quantité d'alcool - vin en particulier - il existe depuis longtemps des interrogations sur l'impact positif ou négatif de la consommation de café sur la mortalité globale, la fréquence de certains cancers et des maladies cardiovasculaires. La littérature donne des réponses très variables à ces questions et schématiquement, après avoir vu publier autant d'études positives que négatives, on a fini par considérer que le café n'avait pas d'impact sur la santé... Mais deux très grandes études (par la taille, la durée d'observation et la qualité méthodologique) viennent d'être publiées en juillet 2017 dans la revue Annals of Internal Medicine. Elles remettent en question l'absence d'effet du café, tout comme certaines interrogations sur un éventuel effet délétère...
La première étude est européenne et a été conduite dans 10 pays de l'UE au sein d'un groupe de travail international s'intéressant à l’impact de la nutrition sur l’incidence des cancers. La population concernée comportait 521.330 personnes et 41.693 décès ont été observés pendant un suivi moyen de 16,4 ans. Comparativement aux personnes abstinentes pour le café, le quartile d'individus (25 % de la population totale) consommant le plus de café a bénéficié d’une réduction modérée mais hautement significative des décès de toutes causes (RR respectivement de 0,88 et 0,93 pour les hommes et les femmes, avec une significativité évaluée à 0,001 et 0,009 selon le sexe). La mortalité d'origine digestive a été inversement liée à la consommation de café dans les deux sexes, et la mortalité par maladies cardiovasculaires a été moindre chez les femmes consommant du café (RR à 0,78 ; p = 0,001). On a trouvé une association positive faible entre la consommation de café et le risque de cancer de l'ovaire (RR : 1,31; p = 0,015), cette association n’émergeant pas pour les autres types de cancer.
Sur un sous-groupe de 14.800 personnes, des dosages de biomarqueurs simples ont été réalisés il apparait que les enzymes hépatiques ont un niveau moindre chez les buveurs de café. De façon intéressante et cohérente avec les données de protection pour les maladies cardiaques et vasculaires, chez les femmes, les marqueurs du risque cardiovasculaires étaient réduits par le café : CRP, Lp(a) et HbA1c.
L'ensemble des résultats demeure solide après exclusion des individus décédés avant 8 ans d'observation. Dans les résultats observés, il n'y a pas eu de différence entre les différents pays. Dans cette étude européenne, le nombre très important d'individus compense probablement les biais potentiels liés aux difficultés d'ajustement et on peut conclure à une réduction de la mortalité observée et l'effet globalement positif du café sur la santé des consommateurs.
Dans le même numéro de la revue est publiée une étude américaine(2). Ici, une cohorte de 185.855 femmes et hommes âgés de 45 à 75 ans regroupant les principaux groupes ethniques vivant aux USA a été observée pendant une période de 19 ans, entre 1993 et 2012. La fréquence des décès, leur cause, et les habitudes vis à vis de la consommation de café ont été analysées. Durant la période d'observation, 58.397 personnes sont décédées.
La consommation de café a été associée à une diminution de la mortalité qui a résisté aux ajustements sur la consommation de tabac et sur d'autres facteurs potentiels de mortalité. Il n'y a pas eu de différence entre les faibles (2 à 3 tasses) et les forts (4 ou plus) consommateurs de café pour le risque de décès. Cette association a été vraie dans tous les groupes ethniques à l'exception de la minorité native d'Hawaï. L'association entre la moindre mortalité et la consommation de café a été retrouvée chez les plus jeunes (< 55 ans), les non consommateurs de tabac et les personnes indemnes de maladie chronique.
L'impact favorable du café a été observé pour presque toutes les grandes causes de décès : cardiopathies, cancers, AVC, maladies respiratoires, diabète et maladies rénales. Malgré les facteurs de confusion et l'impossibilité d'ajuster sur tous les facteurs il est très peu probable que les constatations de cette étude puissent être biaisés ou liées au hasard. De plus, elles sont en accord avec les données de l'étude européennes publiées dans le même numéro du Journal.
Soixante quinze pour cent de la population nord-américaine consomme du café et 50% en consomme plus d'une fois par jour. La caféine est connue depuis très longtemps pour ses deux principaux effets pharmacologiques : la stimulation de l'éveil et de la respiration. Elle partage une analogie pharmacologique avec la théophylline et, comme elle, augmente aussi la fréquence et le débit cardiaques et possède un effet bronchodilatateur. Mais le café contient bien d’autres produits que la seule caféine et on identifie dans sa composition des polyphénols, des diterpènes, des mélanoïdines ainsi que d'autres composés chimiques, et évidemment les sucres et/ou substituts de sucre ajoutés. Tous ces éléments peuvent avoir un impact sur la santé, indépendant des effets connus de la caféine.
La littérature médicale n’est pas unanime quant à l'impact de la consommation de café sur la santé des individus et en particulier le risque de cancer. Aucune conclusion formelle n'est facilement formulable à ce jour. Dans les deux études, la consommation de café semble corrélée à une authentique diminution de la mortalité. Celle-ci est modérée (d’environ 10%) mais la significativité est très importante vu la taille des cohortes étudiées. Les 2 études réalisées dans 11 pays au total suggèrent que cette corrélation est vraie dans tous les pays et aussi dans les principaux groupes ethniques (européens, afro-américains, asiatiques, hispaniques… mais pas les natifs d’Hawaï). Il y a peut-être un impact différent selon le sexe et il n'est pas facile, à partir de ces études observationnelles massives, de préciser dans le détail l'impact du café sur telle ou telle tumeur ou encore sur telle ou telle complication cardiovasculaire. Néanmoins, l'effet du café paraît nettement bénéfique sur les deux principales causes de mortalité des pays développés (maladies cardiovasculaires et cancers). L'étude américaine suggère en outre que la mortalité associée à d'autres maladies chroniques fréquentes (diabète, maladies respiratoires, maladies rénales) pourrait être favorablement affectée par le café.
En attendant une éventuelle prochaine très grande étude, une méta-analyse ou d'autres données, on peut considérer qu'en 2017, il n'y pas de danger à consommer du café et qu’il y a vraisemblablement un effet positif à l'échelon populationnel et sans doute individuel. On ne peut pas pour autant accorder au café le nom "d'alicament", que l'on réserve aux produits issus de l'alimentation et ayant un effet favorable sur une pathologie donnée (ex : canneberge et infections urinaires), mais en tout cas la consommation de café ne doit certainement pas être exclue des conseils diététiques visant à promouvoir une meilleure santé.
Il est trop tôt pour encourager les non-consommateurs de café à inverser leur habitude. Mais il n'existe à ce jour aucune base médicale pour décourager les consommateurs de café à cesser leur consommation... à part (pour certains) les troubles du sommeil et pour d’autres les palpitations…
1) Coffee Drinking and Mortality in 10 European Countries: A Multinational Cohort Study. Marc J. Gunter, PhD et al. Ann Intern Med 2017, 11 July 2017. doi: 10.7326/M 16-2945