Paul M. Ridker (Boston, MA, USA) a présenté les résultats d’une des études vedettes de cet ESC 2017, l’étude CANTOS (The Canakinumab Anti-inflammatory Thrombosis Outcomes Study). CANTOS a évalué l’effet du Canakinumab pour réduire l’inflammation et de là le risque cardio-vasculaire. L’inflammation chronique est de longue date impliquée dans le développement des complications athéromateuses.
Il est bien accepté que les marqueurs de l’inflammation (CRPhs, IL6) prédisent la survenue des accidents CV indépendamment du profil lipidique. Les statines ont largement fait la preuve de leurs avantages, mais elles agissent à la fois sur les lipides et sur l’inflammation ! Par exemple, l’essai JUPITER a montré, chez des personnes à LDL-C bas mais CRPhs élevée, un bénéfice CV très ample.
Pour Paul Ridker, le risque inflammatoire est un compagnon inséparable du risque lipidique résiduel : une fois le LDL réduit en deçà de 0.7 g/l, il faut s’attaquer à l’inflammation. Sauf que des preuves tangibles manquent : jusqu’ici aucune étude n’agissant que sur l’inflammation sans toucher aux paramètres lipidiques n’avait pu valider cette théorie, pourtant séduisante car reposant sur des preuves (analyse de l’inflammation au niveau de la plaque par thermographie endovasculaire…).
Le but de CANTOS a été de recruter des patients avec un risque lipidique contrôlé, mais gardant un risque inflammatoire excessif, attesté par un taux élevé de CRPhs, et de voir l’impact du traitement anti-inflammatoire par Canakinumab. Le Canakinumab est un anticorps humanisé à haute affinité qui bloque sélectivement IL-1b et donc interrompt cette voie de l’inflammation. Sa demi-vie longue de 4 à 8 semaines et son effet persistant sur l’IL-6 et la CRP jusqu’à 3 mois permettent une seule injection trimestrielle. Le traitement réduit durablement les taux de fibrinogène, de CRP et d’IL-6. Il est utilisé dans des pathologies inflammatoires dépendant de l’IL-1b.
Les inclusions de l’essai CANTOS ont porté sur des coronariens stables après un infarctus, sous traitement optimal par statine, IEC/ARA2, béta-bloquants et Aspirine, et ayant une CRPhs ≥ 2 mg/l. Les 10061 patients sont randomisés en 4 groupes : sous Canakinumab 50, 150 ou 300 mg en SC tous les 3 mois, plus un quatrième groupe placebo. Le critère d’évaluation principal (CEP) est la somme des infarctus non mortels, AVC non mortels, et décès cardio-vasculaires. Pour la sécurité, les cancers et infections sont particulièrement scrutés. Le LDL initial moyen est à 0.82 g/l, la CRPhs à 4.1 mg/l. On observe comme prévu une baisse franche de la CRP, du fibrinogène et de l’IL-6 sous Canakinumab de manière dose-dépendante, aucune variation du LDL ni du HDL-cholestérol, et une élévation minime des triglycérides. Les résultats montrent que sous traitement actif une baisse moyenne de la CRPhs de 39%, associée à une réduction de 15% des MACE en dehors de toute modification lipidique. Pour les MACE+, RR 0.83 (p = 0.0006). Tous les composants du CEP sont réduits dans les deux groupes actifs 150 et 300 mg et de manière homogène.
On observe une réduction de 24% des IDM (poso : 150 mg) (p = 0.0280), de 36% des revascularisations en urgence (p = 0.005), de 32% de toutes les revascularisations coronaires (p<0.001), de 37% des arrêts circulatoires (p = 0.035) ; ces résultats très impressionnants doivent faire réfléchir à l’impact de l’inflammation sur la fragilité des plaques et leur rupture brutale !
Le RR global est de 0.85 (p = 0.007) et les courbes se séparent avant la fin de la 1ère année. Le bénéfice est d’autant plus important que la baisse de CRP est plus marquée, les patients ayant une baisse de CRP supérieure ou égale à la valeur médiane à 3 mois ont un RR à 0.73 (p = 0.0001). Ce point est particulièrement intéressant car il permet d’isoler les patients répondeurs qui vont réellement tirer profit du traitement, alors que ceux dont la CRP ne baisse pas n’ont pas de bénéfice significatif. En termes de sécurité d’emploi, on note une augmentation significative mais faible des décès par infections, mais (logiquement, cette fois) une réduction significative des poussées inflammatoires articulaires (RR p = 0.002), des crises de goutte (p = 0.0001 !), et surtout des décès par cancers (RR = 0.49, p = 0.0009 pour 300 mg/T). Cela s’explique par le fait que certains cancers, et notamment ceux du poumon, se développent aussi par des mécanismes inflammatoires passant par la voie de l’IL-1b. A la dose de 300 mg de Canakinumab, on observe ainsi une réduction de 67% des cancers du poumon (p = 0.00008), et une réduction de 77% des décès liés à ce type de cancer (p = 0.0002).
Conclusions du Dr Paul Ridker :
L’essai CANTOS a été conçu pour tester directement l’hypothèse de l’inflammation dans l’athérothrombose ;
Comme le montrent les résultats, l’inhibition de l’IL-1b avec le Canakinumab injectée tous les 3 mois chez des patients ayant eu un IDM a réduit substantiellement les biomarqueurs de l’inflammation CRPhs et IL-6 sans cependant aucun effet sur les lipides athérogènes ;
Ainsi, alors que la dose de 50 mg n’a pas eu d’effet CV comparativement au placebo, les doses de 150 mg et 300 mg sc/trimestre, sur un suivi moyen de 3,7 ans, ont permis une réduction de 15% du CEP (MACE : p = 0.007), de 17% du critère secondaire MACE+ (p = 0.006). La dose de 150 mg a eu le plus de pertinence après ajustements multiples, pour la réduction des critères primaire et secondaires ;
Lors des analyses post-hoc, il a été observé une RRR de 27% (p<0.001) chez les patients ayant sous traitement les niveaux les plus bas de CRPhs à 3 mois ; ainsi, comme pour le LDL-C, on peut dire que « lower is better » aussi pour la CRPhs ;
Etant donné la leucopénie induite sous traitement actif et le taux plus élevé d’infections fatales, les patients sous traitement devront faire l’objet d’une surveillance attentive quant aux infections, tout comme les autres personnes sous anti-inflammatoires ;
Le taux d’événements dans le groupe placebo de l’essai CANTOS a été élevé, près de 25% à 5 ans ; ces données montrent que les patients déjà sous statine avec un risque résiduel inflammatoire élevé (CRPhs ≥ 2.0 mg/l) sont à risque au moins aussi élevé que ceux à risque cholestérol élevé malgré une statine. Ces deux groupes de patients sont très différents et nécessitent des approches thérapeutiques différentes ;
L’inflammation est aussi un déterminant de l’invasivité, de la progression et des métastases de certains cancers. En analyse exploratoire de CANTOS, les patients sous Canakinumab ont bénéficié de fortes réductions, dose-dépendantes, des décès par cancer (p = 0.0007), de la survenue de néoplasies pulmonaires (p<0.0001), de décès par cancer pulmonaire (p = 0.0002) ; ceux dans le groupe Canakinumab 300 mg/T ont bénéficié d’une réduction de 50% de la mortalité par cancer (p = 0.0009). Une étude ad hoc est requise pour confirmer.
En conclusion, ces données issues de CANTOS montrent qu’en ciblant la voie IL-1b – IL-6 de l’immunité innée avec le Canakinumab permet de réduire l’incidence des événements CV et potentiellement la survenue de néoplasies pulmonaires, de décès par néoplasie pulmonaire. Ces résultats apportent la preuve que l’inhibition de l’inflammation, même sans intervention sur le profil lipidique, peut améliorer le risque athérothrombotique et, potentiellement, modifier la progression de certaines néoplasies mortelles.
Le Pr Malte KELM (Düsseldorf, Allemagne) a commenté CANTOS, en rappelant que le Canakinumab partage son mécanisme d’action avec la colchicine et aussi le Méthotrexate à faible dose (Circ Res 2016 ; 118 : 145-56). Les cristaux de cholestérol sont responsables d’une inflammation locale (au niveau de la paroi vasculaire) et systémique. Nos performances dans la prévention secondaire sont modestes, le taux d’événements à 3 ans dépassant 20% : il est clair que même en optimisant les traitements connus, de nouvelles approches doivent être trouvées. Or, de nouvelles thérapeutiques émergent dans la coronaropathie et elles s’adressent :
au risque lipidique résiduel avec une réduction toujours plus importante du LDL
au risque inflammatoire résiduel
au risque thrombotique résiduel
L’inflammation impacte la mortalité sur bien des plans : la mortalité sans cause apparente, la mortalité CV, la mortalité par néoplasie, la mortalité respiratoire, digestive, et même extérieure (traumatismes, violence, suicides) (Lancet 2010 ; 375 : 132-40) ! Et CANTOS vient montrer que l’approche anti-inflammatoire apporte des bénéfices considérables au patient cardiovasculaire, mais sur d’autres plans aussi. Tout cela, pour le Pr Kelm, tout comme la confirmation de sécurité au long cours sur les registres, demande à être confirmé. Déjà, d’autres approches anti-inflammatoires sont testées.
Notre opinion : ce travail est fondamental car il valide chez l’homme la contribution de l’inflammation dans l’athérome et ses complications. Le Canakinumab, un pur anti-inflammatoire sans aucun effet lipidique, permet de fortement réduire le taux d’évènements par une autre voie, permettant d’abaisser le risque résiduel des patients bien contrôlés pour leur cholestérol mais gardant un état inflammatoire excessif. Le bénéfice sur certains cancers est une « divine surprise », mais non négligeable dans ces populations riches en fumeurs actifs ou sevrés et peut-être pas imprévisible. Une révolution thérapeutique se dessine.