La ménopause est un état naturel dans la vie d’une femme. Pourtant, cet épisode est associé à des signes fonctionnels parfois très gênants, à une atteinte physique visible et à un risque d’ostéoporose marquée. Par conséquent, les chercheurs et les médecins ont essayé de recréer une situation hormonale proche de celle qui est rencontrée dans la vie génitale active d’une femme. Il était donc licite de proposer une substitution à base d’hormones combinant des œstrogènes et des progestatifs. Les résultats des premières études observationnelles ont permis de montrer l’efficacité sur de nombreux paramètres cliniques de cette substitution hormonale. Néanmoins, dans les années 1990, des voix ont commencé à s’élever pour demander un essai thérapeutique classique permettant ainsi de contrôler les biais de sélection et les facteurs de confusion propres aux études observationnelles.
Un essai thérapeutique majeur, la Women’s Health Initiative, a été publié en 2002 et a jeté un grand désarroi sur la communauté scientifique et sur les femmes qui prenaient désormais un traitement hormonal substitutif au long cours. Contrairement aux études observationnelles, qui montraient un bénéfice sur la plupart des événements cardio-vasculaires, la Women’s Health Initiative a montré des résultats clairement négatifs. L’association des œstrogènes avec les progestatifs a été prématurément arrêtée après 5,6 ans d’étude à cause d’une augmentation du risque du cancer du sein ; la prescription de progestatif seul a été arrêtée après 7,2 ans d’étude à cause d’une augmentation du risque d’accident vasculaire cérébral. Cette année-là, les scientifiques ont commencé à douter de l’hypothèse physiopathologique visant à compenser la carence œstrogénique de la ménopause et les patientes sous traitement hormonal ont arrêté brutalement la prescription avec comme arrière-pensée un risque cardio-vasculaire et de cancers accru dans les années à venir.
Quinze ans plus tard, il était probablement nécessaire de refaire le point sur un des sujets les plus épineux de la médecine préventive. Il faut rappeler que cet essai thérapeutique était basé sur la prescription de 0,625 mg d’œstrogènes conjugués de nature équine par voie orale associée à 2,5 mg d’acétate de médroxyprogestérone par voie orale également. Pour les médecins européens, il s’agissait d’une prescription inappropriée car l’Europe était déjà passée à des traitements par œstrogènes par voie percutanée. Néanmoins, nul autre essai thérapeutique a la taille suffisante pour conclure définitivement sur les risques et les bénéfices des traitements œstro-progestatifs au long cours. Ainsi, il restait à démontrer à très long terme l’impact sur l’espérance de vie d’une prescription hormonale visant à rééquilibrer un statut hormonal carencé.
Dans un article qui vient tout juste d’être publié, les auteurs ont prolongé le suivi des femmes de la Women’s Health Initiative jusqu’au 31 décembre 2014. Parmi les 27.347 femmes incluses dans l’essai thérapeutique, l’âge moyen était de 63 ans et la durée de suivi cumulé a été de 18 ans c’est-à-dire bien au-delà de l’arrêt des traitements hormonaux. Cette longue période observationnelle a permis d’enregistrer 7.489 décès soit 1.088 durant l’essai thérapeutique et 6.401 décès durant la période de suivi.
La mortalité totale a été de 27,1 % dans le groupe hormonal et de 27,6 % dans le groupe placebo ; il n’y a pas eu de différence significative de mortalité totale dans le groupe comportant des œstrogènes et des progestatifs ou dans le groupe comportant des progestatifs seuls c’est-à-dire chez les femmes qui n’avaient pas d’utérus. Sur l’ensemble du suivi, la mortalité cardio-vasculaire ainsi que la mortalité par cancers n’a pas été différente selon les groupes ; il n’y a pas eu d’impact sur la mortalité par cancer du sein dans le groupe œstroprogestatif et une tendance à la protection vis-à-vis du risque du cancer du sein dans le groupe progestatif seul.
Quels sont les enseignements de ce travail majeur pour la santé des femmes ? La première leçon de cette étude est que les études observationnelles n’ont pas prédit correctement les résultats des essais thérapeutiques ; il est fort probable que les biais de sélection et les facteurs de confusion sont responsables d’une partie de la protection observée dans les études observationnelles. La 2e leçon est destinée aux patientes: la prescription du traitement hormonal substitutif n’est pas associée à une amputation de l’espérance de vie ou à une augmentation de la mortalité pour les différentes causes. La 3e leçon est un message scientifique : la longue marche vers la vérité comporte une étape fondamentale basée sur des hypothèses physiopathologiques et la prescription des médicaments ne correspond que partiellement à la réalité de la complexité de la physiologie humaine. C’est d’autant plus vrai que le traitement hormonal s’adresse à un sujet compliqué affectant de multiples organes et à une période où les aspects cardio-métaboliques sont affectés de manière complexe et conjointe.
En résumé, le traitement hormonal substitutif de la ménopause n’est pas dangereux et seul le prescripteur pourra juger de la période la plus favorable et probablement la plus courte de la prescription chez une femme qui a des symptômes fonctionnels ou qui a un risque élevé d’ostéoporose. À tous ceux qui veulent communiquer très rapidement et de manière sensationnelle sur les résultats des essais thérapeutiques, la Women’s Health Initiative donne des leçons de sagesse et affirme encore une fois que la science avance lentement ce qui ne correspond pas à la frénésie médiatique actuelle.
Manson JE, Aragaki AK, Rossouw JE, Anderson GL, Prentice RL, LaCroix AZ, Chlebowski RT, Howard BV, Thomson CA, Margolis KL, Lewis CE, Stefanick ML, Jackson RD, Johnson KC, Martin LW, Shumaker SA, Espeland MA, Wactawski-Wende J; WHI Investigators.
JAMA. 2017 Sep 12;318(10):927-938. doi: 10.1001/jama.2017.11217