Dépasser les limites n’est pas un moindre défaut que de rester en deçà, disait Confucius il y a bien longtemps !Au terme d’une avalanche d’essais thérapeutiques sur le LDL cholestérol, il est temps de faire le point et de regarder en arrière. C’est ce que viennent de faire des auteurs qui publient un article dans un numéro récent du JAMA. À la première lecture, il pourrait s’agir d’une énième méta-analyse sur les statines et le LDL cholestérol. Il n’en est rien car les auteurs se sont penchés sur la question cruciale de la limite inférieure du LDL cholestérol à atteindre en pratique clinique.
Depuis l’année 1994, les études ont essayé de normaliser le LDL cholestérol et plus récemment de l’abaisser à des valeurs inférieures aux valeurs habituellement rencontrées en clinique humaine chez l’adulte. En 1994, dans l’étude 4S, le LDL cholestérol de départ était de 1,88 g par litre. En 2017, dans l’étude FOURIER, le LDL cholestérol de départ était de 0,92 g par litre. La question fondamentale qui se pose est donc de savoir s’il y a une limite qu’il ne faudrait pas dépasser, c’est-à-dire une valeur à partir de laquelle il n’y aurait plus de bénéfices cliniques. Les méta-analyses réalisées par l’équipe d’Oxford semblent montrer que le bénéfice relatif est toujours le même quelque soit le point de départ. Faut-il donc, avec Confucius, dépasser les limites ou au contraire rester en deçà ?
Dans cet article du JAMA, les auteurs ont examiné à la loupe 34 essais thérapeutiques, soit le suivi de 270 288 sujets. Le premier groupe de patients traités était de 136 299 sujets qui avaient le traitement le plus intensif que l’on a comparé à un 2e groupe de patients de 133 989 sujets qui étaient sous placebo ou sous une thérapeutique hypocholestérolémiante moins efficace sur le LDL cholestérol. Ces auteurs ont analysé l’interaction entre le niveau de départ pour le LDL cholestérol et les événements cliniques. Il s’agissait de la mortalité totale, de la mortalité cardio-vasculaire, des infarctus du myocarde, des accidents cérébro-vasculaires, des revascularisations et de l’ensemble des événements cardio-vasculaires.
La mortalité totale était de 7,08% dans le groupe intensif contre 7,70 % dans le groupe placebo ou moins actif. Ceci a permis d’obtenir un risque relatif de 0,92 (0,88 à 0,96). Plusieurs sous-groupes ont été définis selon le LDL cholestérol de départ : des patients qui avaient un LDL cholestérol supérieur à 1,60 g par litre, par exemple les patients de l’étude 4S, WOSCOPS et GREACE ; les patients dont le LDL cholestérol était entre 1,30 et 1,60 g par litre, par exemple les patients de l’étude ASCOT, HPS, SPARCL, CARE, PROSPER, AFCAPS et LIPID ; les patients dont le LDL cholestérol était entre 1 g et 1,30 g par litre, par exemple les patients de l’étude PROVE-IT, SHARP, CARDS, IDEAL, A to Z, JUPITER et HOPE-3 ; et enfin des patients dans le LDL cholestérol à l’inclusion étaient inférieur à 1 g par litre, par exemple les patients des études FOURIER, IMPROVE-IT, SEARCH, TNT et SPIRE. Les auteurs obtiennent une interaction significative entre ce LDL de départ et la mortalité totale soit des risques relatifs respectivement de 0,72 (0,62-0,84) ; 0,91 (0,86- 0,96) ; 0,88 (0,79-0,98) ; 1,00 (0,95-1,06). Cette interaction signifie qu’il n’y a plus à de bénéfices cliniques pour la mortalité totale en dessous d’1,00 g par litre pour le LDL cholestérol.
Lorsque les auteurs se focalisent sur la mortalité cardio-vasculaire, des résultats similaires sont obtenus avec un risque relatif global de 0,84 (0,79-0,89) ; il existe aussi une interaction significative avec un risque relatif de 0,65 (0,54-0,77) dans le sous-groupe des patients dont le LDL cholestérol de départ est supérieur à 1,60 g par litre et le risque relatif est de 0,99 (0,92–1,06) dans le sous-groupe des patients dont le LDL cholestérol de départ est inférieur à 1,00 g par litre.
Il existe aussi une interaction (LDL < 1,00 g par litre versus LDL ≥ 1,00 g par litre) pour l’ensemble des événements cardio-vasculaires mais il n’y a plus d’interactions pour l’infarctus du myocarde : 0,76 (0,72–0,80) ; pour la maladie cérébro-vasculaire : 0,82 (0,78–0,87) ; ou pour les revascularisations : 0,78 ( 0,74–0,83).
Il y a donc une convergence entre l’ensemble des méta-analyses sur les événements cardio-vasculaires pour montrer que plus le LDL cholestérol est bas, plus le bénéfice clinique est grand. Néanmoins, ce travail émet l’hypothèse qu’il y aurait un seuil pour le LDL cholestérol vis-à-vis de la mortalité totale d’une part, et vis-à-vis de la mortalité cardio-vasculaire d’autre part. Ce seuil pour le LDL cholestérol se situerait aux alentours de 1,00 g par litre, en deçà duquel il n’y aurait plus de bénéfices vis-à-vis de la mortalité totale ou de la mortalité cardio-vasculaire.
Bien évidemment, cet article est une méta-analyse de plus et non pas un essai thérapeutique original. Par conséquent, il s’agit d’une analyse observationnelle de données agrégées qui est néanmoins fort intéressante. Du point de vue cardiologique, la situation reste inchangée puisque notre métier est avant tout d’empêcher les rechutes et parfois éviter la mort. Pour la plupart des thérapeutiques récentes, allonger l’espérance de vie n’est pas un objectif atteignable par les thérapeutiques médicamenteuses et invasives qui ont énormément progressé en cardiologie moderne. Sur le plan économique, notre spécialité crée des malades chroniques qui coûtent beaucoup et qui reviennent souvent à l’hôpital. Ainsi, la mortalité totale devient un sujet préoccupant dans la mesure où ces patients coronariens vont probablement décéder un jour d’un cancer ou d’une autre affection, ce qu’on appelle la mortalité compétitive. Est-ce que cette étude va favoriser l’émergence de nouveaux essais thérapeutiques dont l’objectif serait d’atteindre un LDL cholestérol à un niveau donné et avoir assez de puissance pour modifier la mortalité totale ? Ou au contraire, cette analyse va servir aux négationnistes du cholestérol pour montrer la futilité du traitement intensif du LDL cholestérol dans la mesure où l’espérance de vie ne s’allonge pas.
Souhaitons que Confucius ait raison et nous motive pour poursuivre la recherche clinique ! Gardons également bien présents à l’esprit que dans l’étude DYSIS II, chez les patients coronariens français tout-venant, simplement 34,5 % d’entre eux ont un LDL cholestérol inférieur à 0,70 g par litre. Commençons donc par traiter le maximum de patients coronariens et à risque en essayant d’avoir le plus souvent comme objectif un LDL cholestérol le plus bas possible. Laissons entre-temps aux économistes et aux polémistes le choix des seuils de remboursement des médicaments hypocholestérolémiants ou le thème de la prochaine émission de « journalisme d’investigation »…
Association between Baseline LDL-C Level and Total and Cardiovascular Mortality After LDL-C Lowering: A Systematic Review and Meta-analysis.
Navarese EP, Robinson JG, Kowalewski M, Kolodziejczak M, Andreotti F, Bliden K, Tantry U, KubicaJ, Raggi P, Gurbel PA.
JAMA. 2018 Apr 17; 319(15):1566-1579.
Improvement in achievement of lipid targets in France: Comparison of data from coronary patients in the DYSIS and DYSIS II studies.
Ferrières J, Rouyer MV, Lautsch D, Ambegaonkar BM, Horack M, Brudi P, Gitt AK; Dyslipidemia International Study (DYSIS) and DYSIS II Study Group.
Int J Cardiol. 2016 Nov 1; 222:793-794.