L’immunothérapie est toujours au cœur de l’actualité et de l’innovation en oncologie. Nouveaux résultats cliniques débouchant vers de nouvelles indications thérapeutiques, compréhension du micro environnement, recherche de biomarqueurs : les Universités d’Onco-Immunologie ont réuni cette année plus d’une centaine de cliniciens oncologues, anatomopathologistes et pharmaciens.
Nous vous proposons ici une synthèse de l’actualité partagée lors ces deux journées.
L’immunothérapie en oncologie en 2017 : que retenir ?
Dr Aurélien Marabelle, Oncologue médical, Département d’innovation thérapeutique (DITEP)/ INSERM U1015, Gustave Roussy, Villejuif
En 2017, l’immunothérapie en oncologie a engrangé plusieurs grands succès :
Cancer bronchique non à petites cellules (CBNP) en 1ère ligne : les résultats très positifs de l’étude KEYNOTE-024 chez des patients sélectionnés (PD-L1 ≥50%) ouvrent la première indication en monothérapie d’une immunothérapie. La survie globale à 12 mois était de 70,3% dans le bras pembrolizumab et 54,8% dans le bras chimiothérapie (HR 0,63, p=0.003) (Brahmer J et al., ASCO 2017, Keynote-024). Mais aussi les données très prometteuses de l’association pembrolizumab plus chimiothérapie chez des patients sélectionnés PD-L1≥1% avec un taux de réponse de 56,7% dans le bras pembrolizumab plus chimiothérapie vs 31,7% dans le bras chimiothérapie seule et une médiane de survie sans progression de 19,0 mois contre 8,9 mois pour la chimiothérapie seule (HR 0.54, p=0.0067). La médiane de survie globale quant à elle n’était pas atteinte dans le bras pembrolizumab plus chimiothérapie et de 20,9 mois dans le bras chimiothérapie seule (Borghei et al., ESMO 2017 ; Keynote-021)
Mélanome au stade avancé : l’association pembrolizumab plus inhibiteurs de l’indoleamine 2,3-dioxygénase (épacadostat ou indoximod) apporte des taux de réponse de plus de 50% : 52% de réponse globale pour l’indoximod ; 59% en excluant les mélanomes oculaires (Zakharia et al, AACR 2017, CT117) et 56% de réponse globale pour l’épacadostat ; 55% en 1ère ligne de traitement (Hamid O et al., présentation 1214O, ESMO 2017 ; ECHO-202/Keynote-037).
Cancers gastriques : là encore des taux de réponse significatifs et notamment en 1ère ligne, en monothérapie, chez les patients PD-L1 + avec 77% de patients (24/31) ayant une réduction de la taille des lésions et une durée de réponse médiane de 9,6 mois (Wainberg ZA, ESMO 2017, Keynote-059).
Cancer du rein : le traitement standard par sunitinib va sans doute être remplacé par l’immunothérapie à la suite des résultats de l’essai CheckMate 214 de la combinaison nivolumab plus ipilimumab vs sunitinib (Escudier B et al, LBA5, ESMO 2017 ; CheckMate 214) puisque le taux de réponse chez les patients avec un pronostic intermédiaire ou mauvais était de 42% pour la combinaison contre 27% pour le sunitinib. Les trois co-objectifs primaires ont été atteints. Cependant le sunitibib était supérieur à l’association chez les patients avec un risque favorable. De plus l’efficacité de l’association est dépendante de l’expression de PD-L1 : 58% de réponse objective chez les patients PD-L1 ->1% et de 37% chez les patients PD-L1<1%.
Mais il y a eu aussi des échecs qui montrent que le chemin est encore long pour maîtriser les connaissances en immuno-oncologie. Parmi les résultats négatifs d’études cliniques, peuvent être cités :
L’étude clinique Checkmate 026 en 1ère ligne de traitement du CBNPC : la survie sans progression des patients sous nivolumab était inférieure à celle des patients sous chimiothérapie. Les moins bons résultats de nivolumab peuvent sans doute s’expliquer par le déséquilibre entre les deux bras, puisque nivolumab semble donner un meilleur bénéfice chez les patients avec une charge mutationnelle importante (Solange Peters S et al, AACR 2017, Checkmate026).
L’étude clinique IMvigor211 dans le traitement du cancer de la vessie (Powles T, et al. EAS 2017, IMvigor211) : la survie des patients n’a pas été améliorée sous atezolizumab versus chimiothérapie mais les patients étaient sélectionnés sur l’expression de PD-L1 dans les cellules immunitaires présentes dans le stroma et pas dans les cellules tumorales. Si cette expression n’a pas de valeur prédictive sur l’efficacité du traitement elle a cependant une valeur pronostique, car la durée de réponse était prolongée chez ces patients.
L’étude clinique Keynote-040 dans les cancers ORL en rechute ou métastatique (Cohen E et al ESMO 2017, Keynote-040) : pas différence significative entre le groupe ayant reçu le pembrolizumab et le groupe ayant reçu le docétaxel en 1ère ligne de traitement. Cependant le cross-over était possible et de nombreux patients ont bénéficié du pembrolizumab dans le bras contrôle ce qui a certainement amélioré la survie globale dans ce groupe.
Comment prédire la réponse au traitement ?
Dr Jérôme Galon, Directeur de recherche INSERM, UMRS 872, Centre de recherche des cordeliers, Paris
L’immunothérapie est basée sur la réactivation du système immunitaire et non sur le ciblage de la tumeur comme les thérapies ciblées. La réponse au traitement est ainsi étroitement liée à la présence de cellules immunitaires dans le microenvironnement tumoral. Il est donc important de définir des groupes immunitaires homogènes de patients pour les essais cliniques en utilisant des tests moléculaires quantitatifs. Le futur des biomarqueurs en oncologie sera d’aller vers une caractérisation immunitaire des patients, avec des tests qui prennent en compte l’évaluation du microenvironnement tumoral, comme le biomarqueur MSI (instabilité des microsatellite, …), ce qui permettra d’aller vers de meilleurs taux de réponse.
Les biomarqueurs
Pr Sylvie Lantuéjoul, Anatomopathologiste, CLCC Léon Bérard, Lyon
Les anatomopathologistes ont anticipé les besoins des cliniciens pour un test compagnon valide et robuste. Il y a ainsi eu un effort national d’accompagnement de la mise en place du test et de formation des anatomopathologistes.
Aujourd’hui la majorité des laboratoires français réalise le test PD-L1 en routine et des recommandations nationales seront publiées prochainement. Pour ce qui est des biomarqueurs à venir, l’attention est maintenant tournée vers la détermination de la charge mutationnelle sur les cellules tumorales ou les cellules circulantes et la signature transcriptomique qui seront réalisables sur de petites quantités de matériel, mais aussi l’immunomarquage multiplexe qui permettra d’identifier l’expression de PD-L1 spécifiquement dans différents types cellulaires. L’objectif sera d’essayer d’être au plus près des cliniciens pour leur permettre de sélectionner les patients et de choisir le bon traitement.
Quel futur pour l’immunothérapie ?
Pr Christophe Le Tourneau, Oncologue Médical, Institut Curie, Paris.
L’immunothérapie est une révolution dans le traitement du cancer par son mode d’action et par les taux de survie et durées de réponses obtenues.
Cependant il y a aussi 70-80% de patients qui ne répondent pas au traitement ou deviennent résistants. Pour augmenter le nombre de répondeurs plusieurs stratégies d’association de traitement sont adoptées : les associations immunothérapie – immunothérapie qui sont actuellement en phase I avec de nombreuses molécules en développement, qui pour le moment ne donnent pas de mauvais résultats en termes de toxicités ; les associations IT – thérapies ciblées en particulier les anti-angiogéniques et les associations IT-chimiothérapie qui pour le moment donnent de bons résultats. Le futur de l’immunothérapie est surtout basé sur l’identification des patients qui vont répondre et ainsi sur les biomarqueurs.
Qu’avons-nous appris sur la prise en charge des effets secondaires ?
Dr Stéphane Champiat, Oncologue médical, Département d’innovation thérapeutique (DITEP), Gustave Roussy, Villejuif - Coordonnateur du programme de gestion des toxicités associées aux immunothérapies anticancéreuses (ITOX).
L’immunothérapie est globalement beaucoup mieux tolérée que la chimiothérapie avec des toxicités beaucoup moins fréquentes.
Cependant les toxicités liées aux immunothérapies sont induites par le système immunitaires et peuvent ainsi toucher une grande diversité d’organes comme par exemple la peau, le tube digestif ou les cellules endocrines.Certaines sont sévères comme les colites mais la particularité de ces toxicités est qu’elles peuvent survenir de façon retardée par rapport à l’administration du traitement.
L’expérience des dermatologues avec l’utilisation de l’immunothérapies a permis de définir un principe de prise en charge qui est décrit dans la littérature. Ce dernier est fonction de la gravité : si la toxicité est sévère, le traitement est arrêté, une corticothérapie est initiée (orale voire intraveineuse dans les cas très graves) et le patient est adressé à un spécialiste.
Mais ce principe n’est pas applicable aux toxicités cardiaques, endocrines, hépatiques ou neurologiques. Ces toxicités des anti-PD1 sont rares, mais leur grande diversité dépasse le champ de compétences de l’oncologue. Il est donc important de faire appel à des référents spécialistes d’organe.
A Gustave Roussy une application dédiée aux toxicités des immunothérapies a été mise en place afin d’aider les professionnels de santé à prendre en charge les malades au quotidien : diagnostics différentiels, bilan diagnostics, conduite à tenir et coordonnées directes des référents.
En quoi l’immunothérapie modifie-t-elle la prise en charge des patients ?
Table ronde : Pr Gilles Salles – Hématologue, Hospices civiles de Lyon, Dr Aurélien Marabelle - Oncologue médical, Département d’innovation thérapeutique (DITEP)/ INSERM U1015, Gustave Roussy, Villejuif
Dr Christos Chouaid, Onco-pneumologue, CH Intercommunal de Créteil, Romain Finas - MSD France.
Le nombre croissant de patients bénéficiant d’un traitement par immunothérapie, la durée de réponse au traitement et le mode d’administration tous les quinze jours ou trois semaines posent de nouveaux problèmes dans l’organisation de la prise charge des patients.
Les services doivent y faire face en trouvant des solutions. Les Hospices Civils de Lyon par exemple ont mis en place le réseau « IMMUCARE » : Centre de recours régional pour la gestion des toxicités qui réunit les hotlines des différentes spécialités capables de prendre en charge des toxicités liées aux immunothérapie. Ce réseau permet ainsi de faciliter l’identification des experts vers lesquels les patients peuvent être dirigés.
Un cercle de réflexion en immuno-oncologie (CRIO) regroupant des oncologues, économistes de la santé, représentants de patients et infirmières s’est réuni pour définir les enjeux de l’utilisation de l’immunothérapie et apporter des éléments de réponse. Le travail du CRIO a été élargi lors de débats publics et de cette réflexion conjointe est né un livre blanc. Trois grands défis ont émergé de ce travail : 1) faire face aux conséquences sur l’organisation des soins à l’hôpital et en ville en maitrisant l’augmentation du flux de patients à l’hôpital et en adaptant le suivi des patients sous traitement, 2) faire évoluer les compétences et les connaissances en formant les professionnels de santé et en impliquant les patients et 3) favoriser l’accès aux traitements en accélérant l’accès au traitement.
L’équipe Parcours de Santé de MSD a quant à elle mis en place un observatoire du parcours de soin en immuno-oncologie pour répondre aux besoins accrus de prise en charge des patients en termes organisationnels. Cette démarche vise à accompagner les équipes dans la transformation de leur organisation, évaluer ce qui fonctionne et ne fonctionne pas et à organiser un espace d’échange digital pour que tous puissent bénéficier des connaissances et de l’expérience de chacun en offrant des outils comme des fiche de postes, annuaire des référents, serious games, etc...
L’innovation touche les traitements, la prise en charge des patients et la coordination des acteurs de cette prise en charge. Ce programme a quatre objectifs majeurs :
Offrir une égalité de la prise en charge face à l’innovation.
Identifier et diffuser rapidement les bonnes pratiques
Accompagner dans la mise en œuvre des transformations
Avoir une démarche d’innovation continue dans la prise en charge.
Cet observatoire a démarré avec l’hôpital Cochin à Paris, l’Oncopole de Toulouse et le CH de Valenciennes et s’élargira à 15 établissements représentatifs de la pratique diversifiée en France.
Quel est le futur de l’immunothérapie ?
Pr Eric Vivier, Directeur du Centre d'Immunologie de Marseille-Luminy
Les pistes à suivre aujourd’hui doivent viser à augmenter le nombre de patients répondant au traitement, d’augmenter l’efficacité du traitement chez les répondeurs tout en contrôlant les toxicités. Pour cela, de nouvelles cibles moléculaires doivent être explorées. Il faudrait identifier de nouveaux checkpoints et de nouveaux régulateurs négatifs de la réponse immunitaire ainsi que des antigènes spécifiques de tumeurs. Il serait également intéressant de développer des anticorps couplés à des toxines pour pallier les problèmes d’infiltration des cellules immunitaires dans les tumeurs.
Conclusion
Pr Christos Chouaid, Pr Karim Fizazi, Pr Sylvie Lantuéjoul, Pr Eric Vivier
L’immunothérapie révolutionne l’oncologie non seulement en donnant des perspectives pour des cancers dont l’espérance de vie des patients était très courte mais aussi en ouvrant vers la transformation des cancers en maladies chroniques. Et cette révolution continue sa marche car les résultats de nombreuses études de phase III sont attendus dans les années à venir et modifieront encore probablement les pratiques.
L’augmentation du nombre de patients dont la durée de vie s’allonge et qui seront sous traitement auront un impact sur l’organisation des soins. Il faut ainsi anticiper les changements dans les structures hospitalières comme dans le circuit de prise en charge ville-hôpital.