Le terme de « décision médicale partagée » reflète l’idée d’une codécision du médecin avec le patient, autour d’objectifs fixés en commun. Pour la mettre en pratique, le patient doit être informé et formé, avoir pu exprimer son vécu et faire part de ses préférences. Cela suppose que le médecin sollicite les questions du patient, lui donne les moyens de s’exprimer et lorsque le patient a besoin de temps pour prendre une décision, lui propose un autre rendez-vous voire lui remette ou lui adresse une synthèse écrite pour qu’il puisse y réfléchir posément à la lecture. Et, si besoin, lui propose de solliciter un deuxième avis.
La décision médicale partagée concerne surtout les maladies chroniques car le patient doit suivre le traitement quotidiennement et prendre des décisions tous les jours. Il se trouve confronté aux difficultés de l’observance. Aujourd’hui, l’observance est chiffrée en moyenne à 50%, avec de grandes disparités. Le terme d’observance peut entraîner une certaine confusion. Il peut avoir une connotation militaire ou religieuse en induisant l’idée d’obéissance à un ordre ou à une règle. Ici, il s’agit d’auto-observance, à laquelle n’échappent pas les médecins lorsqu’ils sont eux-mêmes malades. Le malade est d’accord pour faire, il sait faire et pourtant il ne fait pas ou pas tout.
Aujourd’hui, il y a un certain retard en France, avec une persistance du modèle vertical et paternaliste où le médecin sait ce qui est bon pour le malade et lui explique sa maladie et le traitement mais ne lui donne pas les moyens de poser toutes les questions et de peser sur les décisions. Ce modèle reste adapté aux maladies aiguës graves nécessitant des décisions urgentes.
Une codécision comporte cependant des limites et dans le cas de la décision médicale, deux problèmes éthiques vont se poser.
- Le premier repose sur un conflit éthique pour le médecin. En effet, le patient a le droit de refuser un soin en fonction de ses croyances. Par exemple, si le patient est témoin de Jéhovah, il va refuser les transfusions sanguines même s’il en a besoin. Mais cette situation est très délicate à gérer en cas de risque vital car le médecin a un devoir d’assistance à personne en danger. En réalité le malade est souvent ambivalent et il faut faciliter l’expression de cette ambivalence pour l’aider à trouver la meilleure solution.
- Le deuxième problème est le respect de la règle éthique « républicaine » du « juste soin pour le patient au moindre coût pour la collectivité », règle qui s’impose au médecin comme au patient dans un système de santé solidaire. La Sécurité Sociale finance les « besoins » de santé, cependant il ne s’agit pas de besoins personnellement perçus mais de besoins médicalement validés et socialement acceptés. La décision médicale partagée est donc possible mais dans cette limité donnée.
L’article promeut à raison la décision médicale partagée mais escamote l’analyse de trois versions :
- Une première version, au fond commercial, où le médecin est prestataire et le patient est client. Le Pr Guy Vallencien a dit que « l’industrie automobile a su personnaliser sa production, à nous de faire de même », et logiquement il suggère de supprimer le serment d’Hippocrate qui met l’accent sur l’asymétrie relationnelle entre le patient et le médecin, asymétrie dont ce dernier prête serment de ne pas abuser.
- Une deuxième version neutre « notariale » où la relation entre le médecin et le patient se veut symétrique et repose sur un système informatif et contractuel. Les « deux parties » s’informent de la décision dont elles « partagent la responsabilité » dit-on. Ce modèle cognitivo-comportemental est purement formel puisqu’en réalité le patient n’est pas responsable juridiquement. Il fait ce qu’il peut. S’il ne prend pas son traitement, il sera puni par la maladie. On ne va pas lui infliger une deuxième peine ! La responsabilité n’est que d’un côté, celui du médecin. Cet article stipule que le risque est que le médecin influence le choix du patient indécis, ce dernier choisissant alors une réponse correspondant aux « propres valeurs du médecin ». Cela va à l’encontre d’une idée majeure : tout patient atteint d’une maladie est avant tout une personne angoissée. La maladie ne lui est pas extérieure et il n’est pas transparent à lui-même. Le médecin doit l’aider à exprimer son vécu dans sa propre histoire de vie en pratiquant une « médecine narrative ». La confiance du patient et l’empathie du médecin sont indispensables dans cette relation fondamentalement asymétrique même si elle doit être égalitaire.
- La troisième version est en effet la version empathique. Elle consiste à donner des explications au patient, solliciter ses questions, y répondre en vérifiant qu’il a bien compris et faciliter l’expression de son vécu émotionnel. Chaque patient a sa singularité émotionnelle et relationnelle. Lorsqu’il est confronté à la prise d’un traitement, il ne s’agit pas d’un compromis avec le médecin mais avec lui-même, entre son moi rationnel et son moi émotionnel. S’il décide de refuser un soin, le médecin au lieu de chercher à le convaincre doit questionner le malade sur la (les) raison(s) de son refus. Il est nécessaire de l’aider à réévaluer ses croyances et son vécu, de lui proposer de les confronter à d’autres patients, si besoin de recourir à l’aide de médiateurs culturels pour qu’il accepte le juste soin, au lieu de le laisser refuser sous prétexte d’autonomie et de relativisme culturel tendant à supprimer tout universalisme. Or il est une loi universelle du vivant celle de l’homéostasie dans l’optimisation du bien-être. On ne choisit pas librement de se détruire même si « se détruire pour exister est un paradoxe très humain » comme le dit Philippe Jeammet.
Pour le Professeur André Grimaldi, "la codécision en médecine est très importante, elle suppose l’explication, l’information mais également un partage émotionnel et une réelle empathie pour le patient". Elle n’efface pas l’asymétrie de la relation. Cet article est intéressant car d’un côté il dénonce la vieille médecine paternaliste. D’un autre côté, il revendique la neutralité du médecin illustrée par la phrase suivante : « la décision partagée implique que la décision soit prise en fonction des valeurs et des préférences du patient ». On ne dit pas quelles valeurs et quelles préférences. Si le patient refuse le juste soin, il ne s’agit pas de répondre à ses « valeurs » mais de les questionner. La neutralité recommandée va de pair avec l’indifférence polie. Ce n’est pas un hasard si le mot « empathie » n’est pas prononcé dans cet article finalement compatible avec la logique commerciale du « contrat ».
Au moins, la médecine paternaliste comportait de l’émotion et du dévouement et pas de manipulation commerciale, du moins lorsqu’elle était sincère.
Notre opinion : le Pr Grimaldi nous décrit avec éloquence et précision une approche idéale de la pathologie chronique. Il faut lire avec attention, car de nombreux éléments sont facilement transposables dans notre pratique. Reste le temps à trouver ! A notre époque de pénurie médicale, avoir besoin de convaincre un porteur de pathologie chronique grave, comme le diabète, de suivre quelques principes de bon sens peut sembler curieux, mais tous ceux qui pratiquent cette pathologie savent à quel point André Grimaldi a raison ! Les quelques minutes en plus d’échange avec le patient qu’il nous demande sont un excellent investissement.