A lire votre livre, on découvre que finalement l’Intelligence Artificielle (AI) en Médecine n’est pas pour demain…mais qu’elle est déjà présente très concrètement aujourd’hui.
Oui, l’IA et la robotisation sont d’ores et déjà très largement opérationnelles au sein de notre système de santé. Je dirais même que cela ne date pas d’aujourd’hui puisque dès 1964, Joseph Weizenbaum, Psychothérapeute, avait créé un programme informatique ELIZA (ancêtre du Chatbot) qui reformulait des questions, du type « Pourquoi dites-vous cela ? »…avec des effets psychologiques bénéfiques pour les patients via le sentiment de réconfort et l’empathie que généraient ce programme. Quelques trente ans plus tard, au début des années 2000, des dispositif intégrant l’IA furent développés en Santé Publique pour estimer les risques d’apparition et de diffusion des épidémies. Dispositifs toujours utilisés aujourd’hui, comme encore récemment au Brésil lors de l’épidémie du virus ZICA. L’IA n’est donc pas la « découverte révolutionnaire » de quelques « Start up » géniales, mais bien le fruit d’années de recherches.
Actuellement, les techniques les plus matures utilisant l’IA semblent être celle de la reconnaissance d’image, allant de l’imagerie « conventionnelle » (scanner, IRM…) à d’autres plus complexes telle que l’analyse d’une imagerie de fond d’œil (dépistage de la rétinopathie diabétique) jusqu’à l’analyse « visuelle » d’un mélanome. Et nous n‘en sommes qu’au début…
Outre tous les champs des possibles qu’ouvrent l’IA, votre livre nous interroge sur la vigilance que nous devons avoir vis-à-vis d’elle. Quels pourraient-être ses « risques » ? Quels sont les points de vigilance devons-nous avoir ?
Effectivement, il faut bien comprendre que l’IA ne peut exister sans la collecte massive de données, ce que l’on a pris l’habitude d’appeler les « big data », car l’IA s’appuie sur des algorithmes qui nécessitent la mobilisation de données fiables et en nombre suffisant pour dégager des calculs robustes de probabilités. Ces datas sont donc la matière première de l’IA.
A titre d’exemple, une équipe de chercheurs a créé un système utilisant l’IA et permettant de prédire l’état de santé « cardio-vasculaire » d’un patient juste en analysant le réseau sanguin du fond de l’œil. Pour cela, il a fallu créer une base intégrant les données de plus de 300 000 patients. Une « course aux données de santé » s’est donc engagée au niveau mondial.
De mon point de vue, le premier risque est donc celui, récurrent, de la protection des données de santé qui sont par définition des données à « caractère personnel ». En France et dans l’Union européenne, ce besoin de protection des données personnelles a été à l’origine du règlement général sur la protection des données ou RGPD. Ces dispositions sont sensées nous protéger de la diffusion et de l’utilisation, hors de notre accord, de ces données de santé. Mais les contraintes et les réglementations sont très diverses à travers le monde…
Le second risque est peut-être l’utilisation faite et les champs d’application de l’IA. D’une part, le risque d’une délégation de la décision du médecin ou du consentement du patient à la Machine. D’autre part, le danger, dans certains cas, d’une minoration de la prise en compte de l’intérêt individuel par rapport à l’intérêt collectif. Cela pourrait, être, par exemple, le cas d’une personne en fin de vie à qui l’IA pourrait juger plus rationnelle de ne pas proposer une thérapeutique très coûteuse en réallouant les moyens considérés pour un plus grand nombre de patients.
Prendre en compte le risque éthique sans se fermer à l’innovation et passer à côté de tout ce potentiel d’innovations à portée de main qui pourrait améliorer l’efficacité et l’efficience de notre système de santé, est aujourd’hui un enjeu majeur.
Mais votre livre présente aussi tout ce que pourrait apporter l’AI à la Médecine. Pouvez-vous nous en donner quelques exemples ?
Outre les exemples déjà donnés dans la gestion des épidémies ou du diagnostic par reconnaissance d’image, l’IA offrira l’opportunité sans aucun doute de progrès majeurs dans la prise en charge de nombreuses pathologies, répondant en particulier au challenge que représente aujourd’hui la prise en charge des pathologies chroniques. Le plan « Ma Santé 2022 » ne s’y est pas trompé en prévoyant, dès 2019, une bascule vers des modes de financement davantage orientés vers des logiques de parcours de prise en charge des patients.
Je pense également que l’IA et de la robotisation jouerons bientôt un rôle majeur dans la prise en charges des personnes âgées et des personnes handicapées, aidant notre système de santé à relever ce défi commun à de nombreuses sociétés « industrialisées ». Nous avons donc beaucoup à en attendre, une attente et des besoins qui ne doivent pas pour autant nous faire négliger notre vigilance sur l’éthique, valeur indissociable de la santé.