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Coronavirus et Chloroquine : où en sommes-nous ?

Rappel des épisodes précédents :

  • La dernière étude du Pr Raoult ne permet pas de prouver l’efficacité du traitement

  • La mortalité dans cette étude est à peu près comparable à la mortalité du COVID-19 lors de dépistages massifs

  • Une autre étude récente chinoise sur 62 patients semble montrer une efficacité de l’HC

  • Aucune étude ne montre la supériorité de AZ+HC par rapport à HC seule

  • Il n’y a aucun recul sur la tolérance de cette combinaison dans la population générale

  • Une étude récente française sur 11 patients ne retrouve pas l’efficacité antivirale de cette combinaison

  • Les données de mortalité des patients traités à l’IHU sont ininterprétables

  • La mortalité actuellement rapportée des patients traités à l’IHU est comparable à celle de l’Allemagne lors du début du dépistage massif des malades.

L’actualité scientifique sur le coronavirus évolue à toute vitesse, poussée par l’urgence de la situation. La chloroquine est perçue par une partie de la population comme le meilleur espoir sur le sujet. Cet espoir est notamment nourri par la communication émanant des derniers travaux du Pr Raoult dont l’expertise dans le domaine est perçue par certains comme une caution indiscutable. S’il est indispensable de prendre en compte son avis sur le sujet, il est de notre devoir à tous de garder un regard critique et objectif sur ses résultats : « nous avons le droit d’être intelligent » comme il aime souvent à le répéter. Le Pr Raoult a récemment mis en ligne des résultats sur l’évolution de 80 patients sous hydroxychloroquine (HC) et azithromycine (AZ) (1).



L’étude

Il s’agit d’une étude sur 80 patients tous Covid19+ en début de suivi, et tous traités par HC + AZ.

Le traitement a été donné à des patients qui ne présentaient pas de contre-indication à ces traitements. Un électrocardiogramme (ECG) a été réalisé avant traitement et 2 jours après le début du traitement. En cas de QT allongé sur l’ECG (facteur de risque de trouble du rythme cardiaque), le traitement n’était pas introduit ou interrompu. Le traitement était discuté s’il existait des anomalies à l’électrocardiogramme évoquant une cardiopathie sous-jacente. On peut déjà noter que cette exclusion concerne des patients à risque de complications sévère du COVID-19 et introduit déjà un premier biais.

Les patients étaient déclarés sortants s’ils avaient 2 PCR de détection du virus négatives, puis à partir du 18 mars, s’ils avaient 1 PCR négative puis à la fin de l’étude s’ils évoluaient bien cliniquement malgré une PCR positive. Si possible, un suivi était assuré après la sortie des patients hospitalisés.



Résultats

Les résultats concernent 80 patients hospitalisés avec un dépistage positif pour le coronavirus. Le critère de dépistage et le critère d’hospitalisation ne sont pas définis mais ils semblaient étendus à tous les patients se présentant dans cet hôpital puisque 4 patients asymptomatiques ont été hospitalisés. Tous les patients qui ont reçu le traitement pendant au moins 3 jours et qui ont eu un suivi possible pendant au moins 6 jours ont été inclus. On ne sait pas si des patients ont été exclus du fait d’un traitement arrêté les 3 premiers jours ou d’un suivi interrompu les 6 premiers jours.

  • La majorité des patients avait un score de gravité faible (92%). Seuls 15% avaient de la fièvre et 47% de la toux (habituellement dans la littérature autour de 75% pour chacun de ces paramètres (2) ce qui en fait une population différente des patients hospitalisés dans d’autres centres. Notons tout de même que 54% des patients avaient des images compatibles avec une pneumopathie sur le scanner réalisé lors des 3 premiers jours.

  • 81,3% (65/80) des patients sont sortis d’hospitalisation au moment de la publication de l’article après un séjour moyen de 4.6 jours en service de maladie infectieuse. Parmi les patients sortis, 4 avaient encore un score de sévérité moyen (qui peut inclure au moins des anomalies respiratoires ou cardiaques). Parmi les 80 patients, 12 patients (15%) ont nécessité de l’oxygène, 3 patients ont été transférés en unité de soins intensifs (USI) parmi lesquels deux en sont sortis avant la fin de l’étude. Une patiente de 74 ans est toujours en USI en fin d’étude. Un homme de 86 ans qui n’avait pas été transféré en USI est décédé. Le rapport entre le nombre de patients positifs et le nombre de patients testés passe de 100% à J0 (critère d’inclusion) à 17 % à J7 et 7% à J8.


Une étude non contrôlée

Pour savoir si un traitement est efficace, il faut le comparer à un autre traitement ou à un placebo (surtout dans les infections virales qui évoluent majoritairement favorablement sans traitement). On sait que les patients infectés par le COVID 19 guérissent sans complication dans environ 85% des cas sans traitement. Si l’on donne un traitement à ces patients et que 85% des patients guérissent, comment conclure que cette évolution est liée au traitement ?


Dans le cas présent, les auteurs affirment malgré tout que l’évolution est favorable dans la majorité des cas grâce à leur traitement. Pour étayer leur conclusion, Ils citent en comparaison une cohorte chinoise de 191 patients avec une mortalité de 28% (3) et suggèrent que la différence de mortalité peut être liée à l’utilisation combinée de l’HC et de l’AZ dans leur cohorte. Il n’est cependant possible de comparer que ce qui est comparable. Dans cette cohorte chinoise, les patients inclus avaient des scores de gravité particulièrement élevés, avec une présentation critique ou sévère de la maladie à l’entrée dans 62% des cas. Les autres patients inclus qui avaient une présentation peu sévère (38%) avaient une évolution favorable constante. Rappelons que dans l’étude du Pr Raoult, les patients inclus avaient une présentation particulièrement peu sévère à l’entrée dans 92% des cas. Les auteurs concluent donc à l’efficacité de leur traitement en comparaison avec une cohorte chinoise à forte mortalité, et sans groupe témoin.


Nous pourrions comparer la mortalité de l’étude du Pr Raoult à celle du Diamond Princess (4) dans laquelle elle est estimée à 1,2% et est donc à peu près équivalente. Cependant comme la population du bateau était plus âgée que la population générale et donc plus à risque de décès, des auteurs ont estimé la mortalité générale de la maladie autour de 0,5% (4.) En se basant sur le même type de comparaison que celle utilisée par les auteurs, on pourrait dire que la mortalité des patients de l’étude du Pr Raoult est doublée par le traitement. Mais le plus raisonnable à ce stade serait probablement de conclure à la nécessité d’étude plus large, avec contrôles.



Une mortalité possiblement sous-estimée

La mortalité et la mauvaise évolution des patients de cette étude sont possiblement inférieures à celles des patients hospitalisés dans d’autres centres pour plusieurs raisons indépendantes du traitement :

  1. Un dépistage massif avec l’inclusion d’une population présentant un score peu grave. L’équipe du Pr Raoult préconise un dépistage massif ce qui permet d’identifier et d’inclure des patients asymptomatiques ou pauci-symptomatiques (seulement 15% de fièvre et 47% de toux). En augmentant la part de ces patients positifs non graves on augmente le dénominateur pour calculer le taux de mortalité qui est de ce fait abaissé.

  2. L’exclusion de patients à risque. Les patients étaient exclus s’ils avaient une contre-indication à la prise du traitement combiné. Ces contre-indications comprenaient des signes ECG évoquant des cardiopathies sous-jacentes. Ces patients avec cardiopathie sous-jacente sont, dans la population générale, parmi les plus à risque de mauvaise évolution et de décès du COVID19. En les excluant, les auteurs introduisent un biais dans leur cohorte en faveur de patients à évolution globale positive.

  3. Un suivi non terminé. Les patients étaient suivis au moins 6 jours mais la durée moyenne de suivi n’est pas précisée. Comme le rappellent les auteurs eux-mêmes, l’évolution est habituellement défavorable au 10e jour de l’infection. Des patients peuvent donc se dégrader ultérieurement, en théorie même après leur sortie d’hôpital. En outre, il restait encore 13 patients en hospitalisation et une patiente en réanimation en fin d’étude. L’issue de tous ces patients n’est pas certaine et peut être fatale. Quelles seront au global la mortalité et les passages en réanimation, impossible de le dire dans cette étude avec un suivi sur un minimum de 6 jours.


La contagiosité

L’autre critère de jugement était la contagiosité. Celle-ci était objectivée par des critères définis par les auteurs eux-mêmes dans une étude pourtant non publiée.


Là encore il est impossible de conclure sans groupe témoin. Le nombre de patients répondant à leurs critères de contagiosité semble diminuer dans le temps mais peut être lié à une évolution naturelle de la maladie indépendante du traitement. Dans une étude chinoise récente (5) ,ils étaient 93% (sur 15 patients COVID19+ en début d’étude) à être négatifs après 7 jours sans traitement par HC, soit une négativation un peu plus élevée que dans cette étude (83%).

Par ailleurs la négativation de l’écouvillon d’un patient à un moment de l’étude n’exclut pas de repositiver plus tard. En effet des auteurs ont montré que des patients guéris avec 2 écouvillons négatifs avaient repositivé à distance leur PCR (6). Dans sa première étude, l’équipe du Pr Raoult avait identifié un patient sous HC + AZ négatif à J6 et à nouveau positif à J8 (7).


Il est difficile de dire si c’est le cas dans cette seconde étude, car il y a encore beaucoup de données manquantes. Les données étaient seulement disponibles chez 62,5 % des patients à J7, 44% à J8 et autour de 15 % à J12. C’est sur ces tests réalisés chez environ 15% des patients seulement que les auteurs affirment qu’il n’y a plus de patients contagieux à J12.


Enfin, des études ont montré que certains patients avec des écouvillons naso-pharyngés négatifs pouvaient continuer à avoir un portage viral dans les crachats et dans les selles8. Il n’est toutefois pas prouvé que ce portage viral soit associé à une contagiosité.



La durée d’hospitalisation

Un autre critère de jugement était la durée d’hospitalisation. Notons d’emblée que ce critère peut être influencé par le critère d’hospitalisation. Il n’est pas défini clairement mais il semblerait que tous les patients avec un écouvillon positif aient été hospitalisés. Cette hospitalisation d’emblée de tous les patients, même asymptomatiques ou peu symptomatiques, aurait pu être justifiée en début d’épidémie mais ne l’est plus actuellement et parait même strictement impossible tant les hôpitaux sont saturés.


Le plus étonnant reste enfin le critère de sortie en fin d’étude. Si un patient ne présentait pas de signes de gravité, il pouvait sortir indépendamment de sa charge virale. Au final 92% des patients admis présentaient dès leur entrée ces critères de sortie puisqu’ils étaient peu sévères. Un patient pouvait donc être déclaré sortant dès son admission ce qui explique des durées d’hospitalisation de 1 jour chez certains patients. Ces critères d’hospitalisations mouvants rendent la durée d’hospitalisation ininterprétable.



La toxicité

Les auteurs détaillent en fin d’étude la faible probabilité d’effets secondaires de l’HC et de l’AZ lorsque ces derniers sont administrés indépendamment. Cependant il s’agit bien dans ce traitement de leur combinaison. C’est uniquement cette combinaison qu’il faut considérer car les interactions médicamenteuses peuvent être graves. Il est à noter qu’un patient a dû arrêter le médicament à cause d’une interaction possible à J4. Pour rappel ces deux traitements peuvent allonger le QT avec un risque potentiellement fatal de troubles du rythme cardiaque lors de leur association. Dans cette étude les effets secondaires semblent rares et peu graves (7 effets indésirables rapportés avec nausées, vomissements, diarrhées et vision floue). Cependant ces effets pourraient être plus importants en cas de prescription étendue de cette combinaison. Les auteurs admettent que des cas de toxicité ont été rapportés mais qu’elle n’est pas prouvée. Le risque inconnu de cette combinaison est à mettre en balance avec la preuve de son efficacité.

Cette observation de 80 patients ne permet donc pas de conclure sur l’efficacité du traitement en l’absence de groupe contrôle.


Les autres études cliniques récentes

Une étude chinoise présentée récemment semble apporter des preuves de l’efficacité de l’HC dans le COVID-19 9. Cette étude porte sur 62 patients randomisés entre 31 patients avec traitement habituel (incluant anti viraux, antibiotiques, immunoglobulines ou corticoïdes) et 31 patients avec traitement habituel associé à de l’HC à la dose de 200 mg x 2 par jour pendant 5 jours.

Les patients étaient traités à un stade relativement précoce en accord avec l’hypothèse d’une activité anti virale initiale pour éviter la progression vers un stade inflammatoire (lié à une réponse excessive de l’organisme au virus ; le traitement anti viral serait alors inutile car trop tardif). Les patients ne nécessitaient pas d’oxygène mais avaient tout de même une pneumopathie au scanner initial dans 100% des cas (contrairement à 53.8% dans l’étude du Pr Raoult à avoir une pneumopathie au scanner).

Le critère de jugement principal était le temps nécessaire jusqu’à rémission des symptômes incluant toux et fièvre. Ce temps était significativement diminué de 1 jour dans le groupe HC. Cette diminution du temps jusqu’à la disparition des symptômes semble montrer un effet de l’HC dans l’évolution de la maladie.

De façon plus intéressante, la réalisation de scanner à 6 jours semblait montrer une diminution de la pneumopathie dans 80.6% des patients traités vs 54.8% des contrôles. Il est aussi noté que 4 patients dans le groupe contrôle vont avoir une évolution vers la forme sévère de la maladie contre 0 dans le groupe traité. Ces différences en sont pas statistiquement significatives mais peuvent être un signal positif sur l’efficacité du traitement.


Comme toutes les études, celle-là aussi comporte certaines limites :

  • Tout d’abord, il n’est pas clairement mentionné si l’étude est en aveugle ou non. Si les patients et médecins sont au courant de qui prend un traitement ou non, cela peut modifier la prise en charge et l’analyse des données cliniques.

  • Le critère de jugement principal est statistiquement significatif mais pas cliniquement significatif. Il y a peu d’intérêt à faire diminuer la fièvre et la toux de un jour. Cependant cela peut traduire un effet clinique sur la maladie avec un potentiel effet bénéfique peut être plus important à moyen terme.

  • L’évaluation se faisait seulement à 6 jours d’évolution. Rappelons que l’évolution défavorable vers la pneumopathie grave se fait habituellement entre le 8e et 10e jour. Un recul plus important est nécessaire pour vraiment évaluer le bénéfice potentiel du traitement.

  • Les patients recevaient d’autres traitements anti viraux et immunomodulateurs non précisés qui peuvent influencer les résultats.

  • Les résultats présentés ne reflètent pas la conception initiale de l’étude. En effet, l’étude devait à la base inclure 3 groupes de 100 patients et devait évaluer le portage viral. Les résultats présentent 62 malades et le portage viral n’y est pas évoqué.

  • Il semble exister un bénéfice clinique intéressant sur la pneumopathie avec une diminution plus importante au scanner chez les patients traités et une aggravation de la maladie uniquement chez les patients non traités (4 vs 0 chez les traités). Cependant compte tenu d’une différence non statistiquement significative, cette différence peut être liée au hasard. Rappelons que dans la première étude du Pr Raoult, il était également noté l’évolution défavorable de 4 patients mais cette fois dans le groupe des patients traités (3 passages en réanimation et un décès) contre 0 chez les non traités.


Malgré ses limites, cette étude semble montrer un potentiel bénéfice clinique à l’utilisation de l’HC dans le COVID-19 à la phase précoce. Notons que c’est la seule étude semblant montrer un bénéfice clinique de l’HC. La seule autre étude clinique disponible ne semblait pas montrer d’effet bénéfique (5).



Hydroxychloroquine ou hydroxychloroquine + azithromycine ?

Cette étude malgré ses limites apporte donc les premières preuves d’un potentiel effet clinique de l‘HC. Ces preuves sont-elles pour autant suffisantes pour proposer un traitement à grande échelle de tous les patients atteints de COVID-19 ? Elles sont à mettre en balance avec les effets indésirables potentiels (faibles mais plus importants dans la population âgée à risque de forme grave) et de l’urgence de la situation sanitaire.


Cependant, cette étude comme les recommandations chinoises concernent uniquement la chloroquine ou l’HC seule. Il n’y a aucune étude qui montre le bénéfice de l’association avec l’AZ. L’étude de l’équipe du Pr Raoult (avec toutes les limites déjà décrites) montrait une différence significative en comparant le groupe témoin au groupe HC (comprenant les patients sous HC seule et 6 patients avec l’association HC-AZ (7). Ces 6 patients avec un traitement combiné ont montré une négativation de leur PCR à J6 mais un avait repositivé à J8. Peut-on se baser sur ces 5 patients uniquement pour proposer cette association à tous les patients COVID-19 ?


Si on peut débattre sur le caractère éthique de ne pas donner l’HC chez des patients compte tenu notamment d’auteurs chinois évoquant un bénéfice potentiel et du faible risque du traitement, il n’y a aucune preuve pour l’instant de l’efficacité de la combinaison avec l’azithromycine. Rappelons que le risque de l’association est plus élevé que l’HC seule avec un effet surajouté sur les troubles du rythme et que nous n’avons aucun recul sur l’utilisation de cette combinaison.


L’équipe du Pr Raoult présente sur son site un article sur l’utilisation de l’association chez les femmes enceintes sous le titre : « toxicité chloroquine-azithromycine une crise de nerf française : étude sur 755 femme enceintes » (10).

Tout d’abord, il ne s’agit pas d’une étude mais d’une revue de plusieurs études. Ensuite, il ne s’agit pas de 755 femmes enceintes sous la combinaison mais moins car une centaine de patientes prenaient un placebo. Ensuite les patientes ne prenaient jamais plus de 3 jours de traitement (vs 5 jours d’AZ et 10 jours d’HC dans le protocole Raout). De plus, la femme enceinte a un volume de distribution plus important que la femme non enceinte (c’est-à-dire que le médicament a plus de place dans le corps pour se diluer). De ce fait, à posologie égale, les concentrations de la chloroquine dans le sang sont significativement moindres avec un risque de toxicité moindre (11). Enfin, cette population jeune n’a pas le même profil que les patients plus âgés à risque de forme grave de COVID-19 et dont la tolérance est prouvée pour être mois bonne à l’AZ (12).


Nous n’avons donc aucun recul sur l’utilisation de cette combinaison dans la population générale et il est dès lors étonnant que l’équipe du Pr Raoult n’ait pas au moins réalisé une étude comparant l’efficacité de l’association AZ-HC par rapport à l’HC seule. Si l’on considère que les patients évoluent favorablement sous l’association, comment savoir si cela est lié à l’HC, à l’AZ ou à la combinaison des deux ?



Les études in vitro

Pour proposer cette thérapeutique l’équipe du Pr Raoult s’appuie sur l’activité in vitro de la combinaison AZ-HC dans une étude non encore publiée. Cette combinaison semble avoir un effet synergique intéressant in vitro. Cependant, il est important de rappeler que l’efficacité d’un médicament sur le virus dans une culture cellulaire n’est pas synonyme d’efficacité thérapeutique chez l’être vivant. Rappelons que des études in vitro avaient montré l’efficacité de la chloroquine sur le virus SARS-CoV 1 mais une étude sur un modèle animal avait échoué à prouver une efficacité thérapeutique (13).


Rappelons également que sur certains virus, la chloroquine avait montré une efficacité in vitro mais avec un effet délétère chez l’animal ou chez l’homme. Dans le Chikungunya, il était noté une aggravation de la maladie à la phase aigüe sous chloroquine dans un modèle animal et d’avantage de séquelles chez l’homme (14). Dans le VIH, il est noté une diminution significative de l’immunité et une charge virale plus importante sous HC (15).

Une efficacité in vitro peut même donc être parfois associée à une aggravation de la maladie virale sous chloroquine chez l’homme. Ce risque est également à prendre en compte avant de décider d’une administration étendue d’un traitement sans preuve solide d’un bénéfice.



Une autre étude sur l’efficacité virologique de l’association HC+AZ

Par ailleurs, il existe une autre étude récente sur l’efficacité virologique de cette association qui ne semble pas montrer les mêmes résultats que l’équipe du Pr Raoult (16). Cette étude réalisée sur 10 patients (11 patients initialement mais un patient décédé durant l’étude) montre que les patients traités avec le même protocole d’association HC-AZ que celui de l’équipe du Pr Raoult avaient une détection encore positive du virus au 5e ou 6e jour dans 80% des cas. Par ailleurs, en plus du patient décédé, 2 patients sous traitement étaient transférés en réanimation durant le suivi.


Cette étude possède également des limites : pas de groupe contrôle, un prélèvement au 5e ou 6e jour, un patient ayant arrêté le traitement au bout de 4 jours du fait d’effet cardiaque sur l’ECG, des patients plus graves sous oxygénothérapie. Cependant malgré ces limites, cette étude contraste fortement avec la première étude du Pr Raoult en termes d’activité anti-virale de la combinaison AZ+HC.

On peut donc se poser la question du caractère éthique d’exposer une population à un sur-risque lié à l’association avec l’AZ sans aucune preuve actuelle d’un bénéfice clinique.



Le twitter journal of médecine

Les autres arguments avancés pour pousser à l’utilisation de la combinaison HC + AZ sont les chiffres présentés sur le site de l’IHU et relayés sur twitter par le Pr Raoult concernant la mortalité des patients traités dans son IHU. Ces données brutes sans aucun détail concernant les patients traités ou non peuvent être biaisés par de nombreux facteurs autres que le traitement. Ces données sont ininterprétables en l’état et on peut se demander l’intérêt de leur publication.


Ainsi, l’analyse à laquelle incitent les données brutes disponibles sur twitter en date du 26/03 fait état d’une mortalité de 0.19% chez les patients traités contre 1.1% chez les non traités. Cependant il est important de noter qu’au 28/03 le nombre de cas positifs traités dans le centre du Pr Raoult a augmenté de 81% vs. +5.9% des patients positifs non traités.

Cette différence peut être liée au dépistage et à la sélection des patients traités et non traités. On peut estimer que tous les patients traités sont ceux du centre du Pr Raoult où il réalise un dépistage massif des malades ce qui peut expliquer l’augmentation beaucoup plus rapide des cas positifs traités. Les conséquences sur le taux de mortalité sont les mêmes que pour son étude sur 80 patients:

  1. Un dépistage massif dans le centre du Pr Raoult, entrainant une inclusion de davantage de patients peu graves à évolution favorable.

  2. Une exclusion des patients cardiopathes contre indiqués au traitement et à risque de complications et de décès liés à la maladie.

  3. Une inclusion plus récente des patients du groupe traité qui ne sont donc pas au même stade de la maladie (avec trop peu de recul pour constater les décès potentiels).

  4. Une exclusion des patients décédés dans les 3 premiers jours de traitement. Par exemple, le patient décédé à 3 jours de traitement de sa première étude a été considéré comme non traité. On pourrait arguer que le traitement a été donné trop tard. Mais encore faut-il le prouver ? Les autres hypothèses pourraient être une inefficacité du traitement, un effet secondaire du traitement, une aggravation de la maladie liée au traitement. Combien d’autres patients sont décédés les premiers jours du traitement ? La censure de ces données des patients morts sous traitement ne permet pas de conclure.


Pour comparaison en Allemagne, un dépistage massif a été réalisé dès le début de l’épidémie (et donc avec peu de recul sur l’évolution des patients dépistés), la mortalité était à peu près comparable. Au 13 mars on comptait 8 morts pour 3675 contaminés soit une mortalité de 0.2% (Institut Robert-Koch). Au 5 avril, l’IHU fait état de 7 morts pour 1962 contaminés soit une mortalité de 0.3% (excluant les patients décédés les 3 premiers jours de traitement). Compte tenu de ces facteurs confondants, rien ne prouve que cette mortalité basse observée chez les patients traités ne soit pas uniquement liée au dépistage massif et le faible recul sur l’évolution des cas. Pour être provocateur, affirmer que la baisse de la mortalité dans l’IHU est liée au traitement équivaut à affirmer que la baisse de la mortalité en Allemagne est liée à l’utilisation des voitures Volkswagen.


Pour autant, nous ne pouvons à ce stade exclure que le traitement soit efficace, mais comment le savoir parmi tous ces facteurs confondants ? Et s’il y a une efficacité, comment savoir si cela est lié à l’HC, à l’AZ ou à l’association ?

Tout ceci ne prouve pas l’efficacité ou l’inefficacité du traitement mais souligne la difficulté d’interprétation de résultats bruts. Certains pensent qu’il n’y a pas besoin de formation particulière pour constater l’efficacité du traitement sur ces chiffres. Il est pourtant indispensable de considérer les biais et facteurs de confusion pouvant influencer ces résultats. Cette analyse critique de données épidémiologiques fait l’objet de plusieurs cours lors de nos études de médecine.


Il n’est pas question d’exclure les non scientifiques de la discussion sur un sujet aussi important mais il me parait indispensable d’en aborder tous les aspects avec une information complète sur les biais possibles. Comme aime à répéter le Pr Raoult : « nous avons le droit d’être intelligent »





Références :

1.h ttps://www.mediterranee-infection.com/wp-content/uploads/2020/03/COVID-IHU-2-1.pdf. Accessed March 28, 2020.

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3. Zhou F, Yu T, Du R, et al. Clinical course and risk factors for mortality of adult inpatients with COVID-19 in Wuhan, China: a retrospective cohort study. The Lancet. 2020;395(10229):1054-1062. doi:10.1016/S0140-6736(20)30566-3

4. Russell TW, Hellewell J, Jarvis CI, et al. Estimating the Infection and Case Fatality Ratio for COVID-19 Using Age-Adjusted Data from the Outbreak on the Diamond Princess Cruise Ship. Epidemiology; 2020. doi:10.1101/2020.03.05.20031773

5. Chen Jun, Liu Danping, Liu Li, Liu Ping, Xu Qingnian, Xia Lu, Ling Yun, Huang Dan, Song Shuli, Zhang Dandan, Qian Zhiping, Li Tao, Shen Yinzhong, Lu Hongzhou. Une étude pilote de l'hydroxychloroquine dans le traitement des patients atteints de coronavirus commun-19 (COVID-19). Journal de l'Université du Zhejiang (Sciences médicales)[J], 2020, 49 (1): 0-0 doi: 10.3785 / j.issn.1008-9292.2020.03.03

6. Lan L, Xu D, Ye G, et al. Positive RT-PCR Test Results in Patients Recovered From COVID-19. JAMA. February 2020. doi:10.1001/jama.2020.2783

7. Gautret P, Lagier J-C, Parola P, et al. Hydroxychloroquine and azithromycin as a treatment of COVID-19: results of an open-label non-randomized clinical trial. Int J Antimicrob Agents. March 2020:105949. doi:10.1016/j.ijantimicag.2020.105949

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13. Barnard DL, Day CW, Bailey K, et al. Evaluation of Immunomodulators, Interferons and Known in Vitro SARS-CoV Inhibitors for Inhibition of SARS-Cov Replication in BALB/c Mice. Antivir Chem Chemother. 2006;17(5):275-284. doi:10.1177/095632020601700505

14. Roques P, Thiberville S-D, Dupuis-Maguiraga L, et al. Paradoxical Effect of Chloroquine Treatment in Enhancing Chikungunya Virus Infection. Viruses. 2018;10(5). doi:10.3390/v10050268

15. Effects of Hydroxychloroquine on Immune Activation and Disease Progression Among HIV-Infected Patients Not Receiving Antiretroviral Therapy A Randomized Controlled Trial. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3821003/. Accessed April 5, 2020.

16. Molina JM, Delaugerre C, Goff JL, et al. No Evidence of Rapid Antiviral Clearance or Clinical Benefit with the Combination of Hydroxychloroquine and Azithromycin in Patients with Severe COVID-19 Infection. Médecine Mal Infect. March 2020:S0399077X20300858. doi:10.1016/j.medmal.2020.03.006



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