Le psoriasis, maladie inflammatoire chronique, ne touche pas uniquement la peau et les articulations mais également d’autres organes faisant d’elle une maladie systémique par excellence. Au moins 125 millions de personnes dans le monde en souffrent avec un impact évident sur la qualité de vie surtout lors des atteintes unguéales.
L’atteinte des ongles au cours du psoriasis, dont la prévalence est estimée entre 5 et 80%, est souvent sous-diagnostiquée ou confondue avec d’autres modifications unguéales, surtout les onychomycoses. Le psoriasis unguéal constitue un facteur de pronostic du fait de sa fréquente association à l’atteinte rhumatismale (estimée à 80%). L’atteinte unguéale sans atteinte cutanée est tout à fait possible et elle est rapportée dans 5 à 10% des cas. Ce sont les ongles des mains qui sont le plus souvent touchés (1).
Les manifestations cliniques varient en fonction du siège de l’atteinte unguéale (matrice et/ou lit de l’ongle).
On procédera à l’étude des différentes manifestations cliniques unguéales en fonction du siège de l’atteinte tout en évoquant leurs diagnostics différentiels.
L’atteinte matricielle
Les dépressions de la lame unguéale ou les points en dé à coudre (fig.1). C’est la manifestation la plus fréquente. Ces dépressions sont dues à une localisation du psoriasis au niveau de la partie proximale de la matrice unguéale et qui se traduisent par une parakératose au niveau des couches les plus superficielles de la lame unguéale. Elles sont irrégulières et espacées. Leur nombre est important en vue de trancher pour ou contre le diagnostic. Moins de 20, elles sont suggestives de psoriasis unguéal, plus que 60 elles affirment le diagnostic. Leur incidence augmente avec la sévérité du psoriasis. Si ces dépressions sont très caractéristiques du psoriasis unguéal, néanmoins, elles peuvent s’observer au cours de l’eczéma, du lichen planet la pelade.
Onychomadèse ou séparation de la lame unguéale de la région proximale, est également une manifestation de l’atteinte matricielle (fig.2). Elle peut être également la conséquence de l’usage des rétinoides lors de la prise en charge du psoriasis. Elle peut se voir aussi lors de certaines maladies auto-immunes, la prise de certains médicaments ou certaines infections.
Trachyonychie : qui se traduit par une rugosité de la lame unguéale (Fig.3). Elle peut également être associée au lichen plan, pelade, la prise de certaines médications anti-cancéreuses.
Leuconychie ou coloration blanchâtre de la lame unguéale (Fig.4). Elle est le témoin d’une atteinte de la matrice moyenne et/ou distale. La leuconychie est un signe très commun de certaines formes d’onychomycoses.
Taches rouges au niveau de la lunule qui sont secondaires aux modifications de la quantité de sang sous l’ongle (Fig.5). Ces taches ne sont pas spécifiques du psoriasis, car elles peuvent s’observer au cours de certaines prises médicamenteuses, une tumeur vasculaire, une polyglobulie,…
De gauche à droite :
1 - Dépressions punctiformes en dé à coudre
2 - Onychomadèse
3 - Trachyonychie
4 - Leuconychie psoriasique
5 - Taches rouges au niveau de la lunula
L'atteinte du lit de l’ongle
Hyperkératose sous-unguéale qui correspond à une accumulation de squames sous la lame unguéale (Fig.6). Elle est de couleur argentée, jaunâtre voire verdâtre en cas de surinfection. L’hyperkératose sous-unguéale est un signe très fréquent au cours du psoriasis unguéal mais elle peut également s’observer au cours des onychomycoses, ichtyoses, eczéma ou lichen plan.
L’onycholyse est une perte d’adhésion de la lame unguéale avec le lit de l’ongle (Fig.7). Elle commence le plus souvent au niveau du bord distal ou sur les bords latéraux et continue d’avancer jusqu’à rejoindre le bord proximal de la matrice. La ligne de démarcation est de forme convexe et elle est sertie d’une bande érythémateuse très évocatrice du psoriasis. Une surinfection bactérienne et/ou candidosique peut très bien se surajouter à cette onycholyse. Elle se voit surtout au niveau des gros orteils et elle doit faire évoquer en premier un traumatisme ou une onychomycose. Elle s’observe aussi dans les cas d’eczéma, de lichen et de toxidermie.
Les taches d’huile : il s’agit de taches jaune rougeâtres qui se localisent au niveau du lit de l’ongle et qui sont visibles à travers la lame unguéale (Fig.8). EIles seraient la conséquence de la vasodilatation, d’une infiltration lymphocytaire et de l’accumulation de cellules parakératosiques.
Les hémorragies filiformes : ce sont des traits hémorragiques de 2-3 mm de long, disposés sur le grand axe de l’ongle (Fig.9). EIles seraient le résultat d’embols au niveau des vaisseaux terminaux du lit de l’ongle. Ces hémorragies filiformes peuvent également s’observer dans d’autres circonstances: eczéma, onychomycoses, proximales: endocardite infectieuse, diabète, syndrome des anticorps anti-phospholipides.
La paronychie psoriasique est en fait due aux squames accumulées sous le repli proximal de l’ongle et qui agissent comme un corps étranger et susciter par conséquence une réaction inflammatoire (Fig.10). L’aspect de paronychie chronique peut également s’observer au cours des infections à moisissures, le pemphigus, …
Les lésions psoriasiques de l’ongle peuvent être localisées et au niveau de la matrice et au niveau du lit de l’ongle donnant une association des différents signes précédemment cités ou pouvant aller jusqu’à l’émiettement total de la lame unguéale avec un aspect d’une lame unguéale épaissie et complètement dystrophique (1 ;2 ;3 ;4). Certaines formes cliniques du psoriasis, tel l’acrodermatite d’Haloppeau peut un aspect pustuleux avec une réaction inflammatoire évidente (Fig.11).
De gauche à droite :
6 - Hyperkératose sous-unguéale
7 - Onycholyse
8 - Lésions en tache d’huile
9 - Hémorragies filiformes
10 - Paronychie
11 - Acrodermatite pustuleuse
Comment évaluer la gravité de l’atteinte psoriasique unguéale ?
Plusieurs outils ont été proposés : NAPSI (NAil Psoriasis Score Index) et NPQL (Nail Psoriasis Quality of Life) (5;6). Le plus utilisé est le NAPSI qui consiste à diviser l’ongle en quatre cadrans et de donner un score de 0 à 2 en fonction de la présence ou non des signes sus-cités en rapport avec l’atteinte de la matrice et/ou du lit de l’ongle. Au maximum chaque ongle peut récolter le score de 8. Plusieurs auteurs ont essayé d’apporter des modifications à ce score en vue de le rendre plus objectif.
Quelles sont les investigations à demander devant un ongle psoriasique ?
La Dermoscopie : elle permet de mieux visualiser les lésions cliniques en particulier les dépressions de la lame unguéale et de suivre ces signes au cours de la prise en charge de la maladie (7).
Echographie : qui permet de visualiser l’onycholyse, d’avoir une idée sur le flux sanguin et également de mettre en évidence une enthésite (inflammation au niveau de l’insertion dorsaleau niveau de la dernière phalange du tendon de l’extenseur) qui est un signe très évocateur de la composante rhumatologique de l’affection(8).
Un examen mycologique : vu l’association fréquente entre onychomycose et psoriasis unguéal, un examen mycologique (examen direct et culture) est indiqué. Il a été retrouvé positif dans la moitié des cas (9). Un traitement antimycosique permettra de traiter une composante de la dystrophie unguéale.
Quels sont les traitements proposés ?
En fait la prise en charge dépend du nombre d’ongles atteints et de l’association ou non de manifestations cutanées et rhumatologiques. De toutes les façons, le traitement est long et nécessite la parfaite adhésion du patient.
En dehors d’une atteinte rhumatismale et si le nombre des ongles atteints ne dépasse pas les trois, un traitement local à base de corticosteroides, vit D, voire des injections intra matricielles de corticoides retards ou de methotrexate permettraient d’améliorer la condition (10, 11).
Si le nombre des ongles atteints dépasse les trois, un traitement systémique s’impose : acitretine, cyclosporine, methotrexate, anti TNF alfa, anti interleukine 17, 23,…(12).
Le laser (Nd-Yag, Pulsed Dye laser) a été également essayé avec des résultats encourageants, mais le coût est élevé et on n’a pas une idée sur l’évolution à long cours après ce traitement (13, 14).
En conclusion
Il s’agit d’une localisation psoriasique sous-estimée vu que les aspects cliniques peuvent être facilement confondus avec des atteintes unguéales d’autres origines.
Les investigations paracliniques (dermoscopie, échographie, prélèvement mycologique) sont à mesure d’apporter des renseignements importants et pour le diagnostic et pour la prise en charge.
Le traitement nécessite une adhérence parfaite du patient et il dépend du nombre des ongles atteints et de l’association ou non de manifestations systémiques (cutanées, articulaires,…).
Références:
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