La dépression est une comorbidité fréquente chez les patients atteints de broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO) et ont un impact sur la santé et le pronostic de ces patients1. Les traitements antidépresseurs utilisés dans ces situations présentent des effets secondaires quelle que soit la classe (inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (ISRS), inhibiteurs de la recapture sérotonine-norépinéphrine (ISRN), antidépresseurs tricycliques (ADT) notamment anticholinergiques (sécheresse buccale, nausées/vomissements), pouvant conduire à une augmentation du taux de pneumopathies infectieuses par mécanisme d’inhalation.
Cette étude a donc pour but d’établir si il existe un lien entre la prescription d’antidépresseurs et la survenue d’épisodes de pneumonies ou d’exacerbation chez les patients atteints de bronchopneumopathie obstructive (BPCO).
Une étude de série de cas auto-contrôlés a été utilisée afin d’étudier l’association entre la prescription d'antidépresseurs et l’incidence des pneumonies ainsi que l’incidence des exacerbations de BPCO chez les patients ayant reçu un diagnostic de BPCO.
Cette méthode permet d’évaluer les évènements (exacerbations de BPCO et pneumopathies infectieuses) chez un même patient sur une période d’observation prédéfinie en fonction de la date d’exposition (période pré et post exposition) et a l'avantage d'éliminer la confusion entre les participants en 2 bras, puisque chaque participant agit comme son propre témoin2.
Les informations sur les participants ont été obtenues par le biais du Health Improvement Network, base de données représentative du Royaume-Uni (12 millions de personnes). L'étude a identifié toutes les personnes âgées d’au moins 40 ans ayant reçu un diagnostic de BPCO entre le 1er janvier 2004 et le 31 décembre 2015, ayant au moins 1 an de données avant le diagnostic de BPCO et au moins une prescription d'antidépresseurs. La date index correspond à la date de première prescription d’antidépresseurs. Quatre classes d’antidépresseurs ont été référencées : ISRS, IRSN, ADT, inhibiteurs de la monoamine oxydase, ainsi que les prescriptions simultanées.
Le suivi a été défini comme se terminant lorsque les patients ont quitté le suivi dans le cabinet de leur médecin généraliste, la date du décès, ou la fin de la période d'étude. Les résultats pour chaque cas ont été estimés au cours de sept périodes différentes, figure 1.
À la suite d'une étude précédente3, il a été décidé d'inclure une "fenêtre de risque hypothétique" de 90 jours après la première prescription. La durée de 90 jours a été choisie parce que cette étude visait à évaluer les effets aigus des événements indésirables liés aux antidépresseurs, et parce qu'il est reconnu que les antidépresseurs peuvent prendre un certain temps avant d’avoir leur effet maximal4. La période est ensuite divisée en 3 segments de 30 jours chacun, où le risque de chaque période a été évalué individuellement. Une période de durée variable a également été incluse pour couvrir la période restante de cet épisode, suivie d'une période de 90 jours après la fin du traitement antidépresseur.
Figure 1 : Diagramme représentant le design l’étude (issu de l’article).
Sur les 31253 patients atteints de BPCO ayant eu au moins une prescription d’antidépresseurs au cours de la période d'étude, 1969 patients ont eu une pneumonie, 18 483 une exacerbation de BPCO, et 613 ont présenté les 2 évènements.
On notait en valeur médiane , 1 (IQR : 1-2) pneumonie, 3 (IQR : 2-6) exacerbations de BPCO. L'âge moyen était de 65 (+/- 11) ans.
Association avec la pneumonie
Par rapport à la période de non exposition, on notait une augmentation de 79% (IRR ajusté selon l'âge : 1,79 IC 95 % [1,54 - 2,07]) du risque de pneumonie dans les 90 jours suivant la prescription d’antidépresseurs, avec une augmentation du risque persistant pendant toute la période d’exposition.
Cette association a ensuite diminué après l'arrêt du traitement.
Association avec l'exacerbation de BPCO
Comparativement à la période de non exposition aux antidépresseurs, le risque d'exacerbation de BPCO a augmenté de 16 % (IRR ajusté selon l'âge : 1,16, IC à 95 % [1,13 à 1,20]) au cours des 90 premiers jours.
L’augmentation du risque d’exacerbation de BPCO et de pneumonie était indépendante de la classe d’antidépresseurs.
Cette étude utilisant les données rétrospectives de soins primaires, montre qu’il existe un risque accru de de pneumonies et d'exacerbations de BPCO dans les 90 jours, suivant la prescription d’un traitement antidépresseur, quelle que soit la classe, chez les patients atteints de BPCO, avec une diminution de ce risque à l’arrêt.
Ces résultats vont dans le même sens que ceux décrits dans l’étude précédente menée par Vozoris et al et laissent penser qu’un lien peut exister entre exacerbation/pneumonie et prescription d’antidépresseurs chez les patients atteints de BPCO.
Des explications pharmacologiques peuvent être avancées, puisqu’on sait que les ADT ont des propriétés anticholinergiques qui peuvent entrainer une sécheresse buccale, des vomissements, et augmenter le risque de micro-inhalations. Les effets antihistaminiques de certains antidépresseurs comme les inhibiteurs de la monoamine oxydase, peuvent induire des effets sédatifs et majorer ce risque. Enfin des effets immunosuppresseurs locaux ont été rapportés pour les ISRS/ISRN et pourraient favoriser les infections respiratoires5,6.
Cette étude présente comme points forts, la taille de l’effectif et sa représentabilité à l’échelle d’une population. L'utilisation la technique d'une auto-comparaison permet de contrôler les facteurs de confusion indépendants tel que le sexe, le statut socio-économique, l'âge, et la génétique.
Toutefois, cette étude présente certaines limites. Il s’agit d’une étude rétrospective basée sur un recueil de données issues d’un registre. Certaines expositions au mode de vie ne sont pas régulièrement mises à jour, ce qui rend difficile d'exclure les facteurs de confusion, dont certains sont primordiaux. Par exemple, la consommation de tabac peut devenir plus fréquente en période de dépression et d’anxiété, et majorer le risque d’exacerbation. Il n’y a pas de données sur les doses d’antidépresseurs, ni sur l’observance des traitements inhalés en période de dépression, ou la survenue d’une tentative d’autolyse médicamenteuse, qui peuvent modifier le taux d’incidence des évènements. Il est donc impossible de conclure à un lien direct pharmacologique, entre la prescription d’antidépresseurs et la survenue d’une pneumonie ou d’une exacerbation de BPCO.
Enfin, on regrette que la sévérité de la BPCO (classification de GOLD) ne soit pas colligée, car on sait que le risque d’exacerbation de BPCO augmente avec la sévérité de la maladie, indépendamment de la prescription d’antidépresseurs.
CONCLUSION
La prescription d’antidépresseurs est associée à un risque accru de pneumonies et d'exacerbations de BPCO dans les 90 jours suivant la prise du médicament. Bien que cette étude observationnelle ne permette pas d'établir un lien direct de cause à effet, les résultats devraient faire prendre conscience, que la dépression chez un sujet atteint de BPCO et les traitements qui en découlent constituent un facteur de risque supplémentaire de développer une pneumonie ou des exacerbations de BPCO. Le syndrome dépressif doit être régulièrement dépisté et des thérapeutiques non médicamenteuses doivent également être proposées.
Dr Morgane FAURE
Références :
(1) Depression in adults: recognition and management, 2018. Available: https://www. nice.org.uk/guidance/cg90/chapter/1-Guidance#step-2-recognised-depressionpersistent-subthreshold-depressive-symptoms-or-mild-to-moderate
(2) Petersen I, Douglas I, Whitaker H. Self controlled case series methods: an alternative to standard Epidemiological study designs. BMJ 2016;354:i4515.
(3) Vozoris NT, Wang X, Austin PC, et al. Serotonergic antidepressant use and morbidity and mortality among older adults with COPD. Eur Respir J 2018;52:1800475.
(4) Gardarsdottir H, Souverein PC, Egberts TCG, et al. Construction of drug treatment episodes from drug-dispensing histories is influenced by the gap length. J Clin Epidemiol 2010;63:422–7.
(5) Shenoy AR, Dehmel T, Stettner M, et al. Citalopram suppresses Thymocyte cytokine production. J Neuroimmunol 2013;262:S0165-5728(13)00165-3:46–52.:.
(6) Taler M, Gil-Ad I, Lomnitski L, et al. Immunomodulatory effect of selective serotonin reuptake inhibitors (SSRIs) on human T lymphocyte function and gene expression. European Neuropsychopharmacology 2007;17:774–80.
Comments