La prévalence annuelle de l’épisode dépressif caractérisé chez les adultes est estimée en France à 12,5%1. Les troubles dépressifs représentent par ailleurs la 2e cause d’années vécues avec handicap à travers le monde2. Les conséquences individuelles ne sont pas à démontrer, en termes de souffrance, de morbi-mortalité et de rupture de trajectoire de vie. On connaît moins les effets sociétaux. Même avant la pandémie, leurs coûts économiques étaient estimés à plus de 4 % du PIB par an dans les pays de l’OCDE, soit plus que le coût du surpoids et de l’obésité.
Mieux prendre en charge les épisodes dépressifs est donc une nécessité : mais par où commencer ?
Quoique fréquents et invalidants, on connaît finalement peu de choses sur les troubles dépressifs. Les données épidémiologiques manquent de granularité, et les données des essais cliniques ciblent uniquement la question de l’efficacité de tel ou tel traitement. Il manque donc des données scientifiques fines portant sur les trajectoires de vie, l’expérience vécue, let plus généralement les besoins spécifiques de cette population clinique dans l’objectif de développer de nouvelles interventions de santé, qu’elles soient préventives ou curatives, individuelles ou collectives.
Pour d’autres maladies, la structuration de plateformes de recherches participatives impliquant des milliers de patientes a permis une meilleure compréhension de l’expérience vécue de la maladie et donc l’adaptation des soins. C’est le cas du projet Seintinelle (https://www.seintinelles.com/) implique près de 40 000 personnes sur la question du cancer du sein avec pour devise « Nos données sont les armes qui manquent aux chercheurs pour lutter contre la maladie. » Forts du constat qu’aujourd'hui, les chercheurs perdent des mois à recruter des volontaires pour participer à leurs études et qu’ils abandonnent même parfois leur projet, faute de participants, les Seintinelles se portent volontaires pour participer à des études en ligne.
A une échelle plus large encore, ComPaRe (https://compare.aphp.fr/), communauté de patients pour la recherche, inclut des adultes ayant une maladie chronique qui se portent volontaires pour participer à des recherches. ComPaRe est une e-cohorte qui inclut 50 000 personnes et qui est structurée par maladie (ComPaRe Hypertension, ComPaRe, Endométriose, ComPaRe Neurofibromatose, etc). Les patients répondent régulièrement à des questionnaires en ligne, mais s’ils le souhaitent, d’autres types de recherche peuvent leur être proposées (entretien qualitatif, recueil d’échantillons biologiques, etc).
ComPaRe Dépression vient tout récemment d’être lancé et recrute des patients souffrant de troubles de l’humeur. Le seul critère d’inclusion est d’avoir eu un épisode dépressif caractérisé au cours de sa vie, quelles que soient les comorbidités psychiatriques ou somatiques, que la personne soit actuellement guérie ou non. Pour les patients, l’inclusion et la collecte des données se fait intégralement en ligne, sur la plateforme sécurisée https://ComPaRe.aphp.fr/depression.
ComPaRe est un projet participatif, c’est-à-dire que 1) le projet vise à répondre aux besoins des patients (patient-centered) et non à l’intérêt des chercheurs ou de la science en général et 2) le modèle d’interaction patient-chercheur est collaboratif (par exemple des patients sont inclus en tant que co-chercheurs dans toutes les étapes du projet) 3. Outre sa qualité éthique, ce modèle de recherche a fait ses preuves dans sa capacité à produire des données qui répondent aux besoins cliniques et à identifier des problèmes émergents3,4. Selon les témoignages des patients de ComPaRe, participer à ce projet c’est d’abord un geste altruiste, mais aussi, une façon de reconsidérer son expérience de la maladie, certains parlent même d’un effet « journal intime ». Les chercheurs/médecins de ComPaRe Dépression proposent une animation médicale et scientifique de la cohorte permettant aux patients d’éccéder à des informations fiables sur leur maladie, traitements, et les différentes ressources existantes. ComPaRe est un projet de recherche public national porté par des chercheurs académiques de l’Inserm, de l’Université Paris-Cité et des médecins hospitaliers (AP-HP) qui a reçu l’accord d’un Comité de Protection des Personnes.
Les médecins voyant des patients déprimés dans le cadre de leur consultation psychiatres, médecins généralistes, bien sûr, mais aussi les autres, sont invités à soutenir cet effort de recherche public en aidant au recrutement des patients. Pour cela, simplement afficher le poster de ComPaRe Dépression dans la salle d’attente a déjà démontré son efficacité. Pour les médecins qui souhaitent faire plus, des post-its à coller sur les ordonnances des patients sont aussi mis à disposition par les chercheurs !
Références :
[1] Leon C, du Roscoät E, Beck F. Prévalence des épisodes dépressifs en France chez les 18-85 ans : résultats du Baromètre santé 2021. 2023; : 28–40.
[2] GBD 2019 Mental Disorders Collaborators. Global, regional, and national burden of 12 mental disorders in 204 countries and territories, 1990-2019: a systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2019. Lancet Psychiatry 2022; 9: 137–50.
[3] Vaughn LM, Jacquez F. Participatory Research Methods – Choice Points in the Research Process. J Particip Res Methods 2020; 1. DOI:10.35844/001c.13244.
[4] Frith L. Democratic Justifications for Patient Public Involvement and Engagement in Health Research: An Exploration of the Theoretical Debates and Practical Challenges. J Med Philos Forum Bioeth Philos Med 2023; 48: 400–12.
Comments