Le croisement entre les troubles alimentaires et les troubles gastro-intestinaux est un domaine d’intérêt croissant. Les troubles alimentaires impliquent des schémas anormaux de consommation alimentaire et de contrôle du poids touchant 7,8 % de la population mondiale, en particulier les jeunes adultes et les adolescents. Cependant, de nombreux cas ne sont pas diagnostiqués, et la moitié des personnes atteintes ne guérissent pas complètement.
Les troubles alimentaires sont diagnostiqués selon les critères DSM-5, et ils se manifestent de différentes manières, des restrictions alimentaires aux comportements boulimiques et aux comportements compensatoires. Les patients souffrant de ces troubles présentent souvent des symptômes gastro-intestinaux, tels que nausées, douleurs abdominales, ballonnements et constipation. Les troubles du comportement alimentaire peuvent également coexister avec des affections gastro-intestinales telles que le syndrome du côlon irritable.
La dysmotilité gastro-intestinale est fréquemment observée chez les personnes atteintes de troubles alimentaires, en particulier l’anorexie. Cela se manifeste par un retard de la vidange gastrique et du transit colique, qui se normalise généralement avec la réalimentation. Les troubles structurels gastro-intestinaux, tels que la dilatation gastrique aigüe, la dysphagie et l’achasie, ont également été signalés, bien que leur prévalence et leurs mécanismes sous-jacents restent à élucider.
En ce qui concerne les affections gastro-intestinales, les symptômes peuvent déclencher ou exacerber des troubles alimentaires, car les patients modifient leur alimentation pour faire face à ces symptômes. Par exemple, les douleurs abdominales récurrentes chez les enfants ont été associées au jeune chez les adolescents pour contrôler leur poids. De plus, la constipation et la diarrhée durant l’enfance ont été liées à des troubles du comportement alimentaire à l’adolescence.
Certaines affections gastro-intestinales comme les maladies cœliaques nécessitent souvent des régimes d’exclusion comme traitement principal. Des recherches solides ont mis en évidence un lien entre la maladie cœliaque et les troubles alimentaires, suggérant que la maladie cœliaque peut déclencher ou aggraver les symptômes des troubles de l’alimentation. Plusieurs facteurs de risques de troubles alimentaires chez les personnes atteintes de la maladie cœliaque sont identifiés, notamment l’âge, le sexe féminin, la durée de la maladie, l’indice de masse corporelle (IMC), la détresse psychologique, la dépression, les antécédents familiaux et le non-respect du régime sans gluten.
Les symptômes des troubles alimentaires sont également associés à une moindre qualité de vie liée à la maladie. Par exemple, une étude menée en Suède a révélé que les personnes atteintes de la maladie cœliaque avaient 1,46 fois plus de chances de développer de l’anorexie. De plus, une étude d’association génomique a identifié des facteurs de risques génétiques communs entre la maladie cœliaque et l’anorexie, avec identification de deux gènes présents dans ces deux affections. De plus, des cas de troubles alimentaires infantiles pourraient en réalité être des cas d’œsophagites éosinophiles non diagnostiquées, ce qui souligne l’importance d’une évaluation endoscopique appropriée avant d’étiqueter ces problèmes comme des troubles alimentaires.
En ce qui concerne les maladies inflammatoires de l’intestin (MICI), bien que les traitements ne nécessitent pas toujours des régimes spécifiques, les symptômes gastro-intestinaux sont courants et peuvent influencer le comportement alimentaire. Une étude a montré que 13% des personnes atteintes de MICI s’auto-évaluaient comme positives pour des troubles alimentaires. Lorsque la MICI est active, le risque de troubles alimentaires augmente, avec des comportements d’évitement-restriction fréquents (prévalence 17% à 53%). Ces comportements semblent souvent motivés par la peur des symptômes gastro-intestinaux et sont souvent des régimes auto-initiés par les patients.
Les troubles alimentaires sont courant chez les personnes atteintes de divers troubles gastro-intestinaux, y compris les gastroparésie, la dyspepsie fonctionnelle, le syndrome du côlon irrité (SCI) et la constipation. Les adolescents atteints de maladies inflammatoires de l’intestin présentent un risque plus élevé de développer des comportements de contrôle alimentaire, tels que le jeûne ou le vomissement après avoir mangé, par rapport aux enfants en bonne santé. Cependant, ces comportements alimentaires ne sont pas universellement plus prononcés chez les patients atteints de SCI, comme l’indique une étude sur 228 adultes. Néanmoins, certains facteurs de risque de troubles alimentaires sont identifiés chez les patients atteints de SCI, notamment l’âge le sexe féminin, la durée du syndrome, l’anxiété et la dépression. De plus, une restriction alimentaire sévère est souvent utilisée pour faire face aux problèmes gastro-intestinaux, mais elle est associée à une accentuation des symptômes du SCI et à une détérioration de la qualité de vie.
Une meilleure adhésion à un régime pauvre en oligosaccharide fermentés, en mono-disaccharides et en polyols (FODMAP) est associée à une plus grande probabilité de dépister positivement les troubles du comportement alimentaire à l’aide d’un outil de dépistage standard sur une période de 6 semaines.
Aussi, le comportement de restriction alimentaire est souvent motivé par la peur des symptômes gastro-intestinaux, ce qui est courant chez les patients cherchant à gérer leurs problèmes d’interaction entre l’intestin et le cerveau. Il existe des cas où des patients se présentent à l’hôpital pour des symptômes de dyspepsie fonctionnelle et de gastroparésie, signalant des symptômes qu’ils perçoivent comme évocateurs de troubles alimentaires restrictifs.
Le comportement d’évitement-restriction alimentaire est récemment devenu un sujet d’intérêt croissant parmi les gastro-entérologues. Cependant, il reste encore des incertitudes sur la question de savoir s’il s’agit d’un marqueur de maladies gastro-intestinales graves ou le reflet d’un trouble sous-jacent d’évitement-restriction.
En ce qui concerne les symptômes gastro-intestinaux et l’état de récupération, la réalimentation a un impact sur les changements neurosensoriels provoqués par les restrictions alimentaires et les comportements compensatoires. Bien que des données proviennent d’études portant sur des patients hospitalisés très maigres souffrant de troubles alimentaires et stabilisés par un traitement, la réalimentation est associée à une amélioration à long terme des symptômes gastro-intestinaux. Cependant la réalimentation peut entrainer des complications telles qu’une dilatation gastrique aigüe, une pancréatite et un iléus intestinal.
Traiter les patients ayant un trouble alimentaire
Il existe des modalités de traitement fondées sur des données scientifiques. Il mentionne que les traitements cognitivo-comportementaux sont couramment utilisés pour les adultes atteints de troubles alimentaires, impliquant des approches telles que l’alimentation à intervalle réguliers, l’exposition aux aliments et aux situations de consommation, ainsi que la prise de conscience des troubles de l’image corporelle.
Dans plusieurs situations, la prise en charge des troubles comportementaux se fait de façon pluridisciplinaire et inclue des médecins internistes, diététiciennes spécialisées dans les troubles de l’alimentation et des psychiatres. Cependant des études complémentaires doivent encore être faites pour savoir quelle approche sera la mieux appropriée chez les patients ayant des troubles dans le contexte des maladies gastro-intestinales, en particulier lorsque les troubles se superposent avec le contrôle de l’alimentation.
La prise en charge de ces troubles peut être pluridisciplinaire, faisant intervenir des médecins internistes, des diététiciennes spécialisées et des psychiatres. Actuellement, les approches psychopharmacologiques pour les troubles du comportement alimentaire sont rares et réservées au traitement des comorbidités psychiatriques. Cependant des essais randomisés ont montré que chez les adultes boulimiques, de forte dose de fluoxétine (inhibiteur sélectif de la recapture de sérotonine), sont parfois recommandées en complément des traitements cognitivo-comportementaux. D’autres études ont montré que de faible dose d’olanzapine, antipsychotiques chez des adultes anorexiques permet de diminuer les pensées obsessionnelles de perturbation de l’image physique. L’Olanzapine, est le seul médicament aujourd’hui ayant démontré une efficacité pour favoriser la prise de poids chez les personnes souffrant d’anorexie mentale.
Conclusion
Une relation complexe et bidirectionnelle existe entre les symptômes gastro-intestinaux et les troubles alimentaires. La détresse gastro-intestinale est une manifestation courante d’un trouble alimentaire non encore diagnostiqué, bien que les patients en rémission totale puissent continuer à présenter des symptômes gastro-intestinaux persistants. Les cognitions et les comportements alimentaires perturbés liés à la nourriture et à l’image corporelle peuvent être entretenus par la persistance des symptômes gastro-intestinaux. La reconnaissance des troubles alimentaires sous toutes leurs formes et la compréhension de leur interrelation avec les symptômes gastro-intestinaux peuvent apporter des avantages tant aux patients qu’aux prestataires de soins.
Les gastro-entérologues ont un rôle essentiel à jouer auprès de ces patients, en dépistant les troubles cognitifs et les comportements liés aux troubles alimentaires, en éduquant les patients sur la façon dont les symptômes gastro-intestinaux peuvent affecter les symptômes des troubles alimentaires, et en traitant activement les symptômes gastro-intestinaux chez les patients atteints.
Pr Guillaume BONNAUD
Médecin gastro-entérologue et hépatologue
Référence : E.Yelenich, E Truong Disordered eating body dissatifaction ans psychological distress in patients with inflammatory bowel disease. Clin Psychol Med Settings 2020
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