Les recommandations (qu’elles émanent de la société savante de référence, de l’HAS ou des sociétés internationales) font désormais partie intégrante de la pratique de tout professionnel de santé. Elles doivent être respectées, même si ce qui est validé un jour peut ne plus l'être quelques mois ou années plus tard. Une enquête sur l’utilisation du fer par les néphrologues français a montré des résultats contrastés : de la théorie à la pratique, il y a parfois un monde.
Ainsi, plus de la moitié des néphrologues vise des cibles de bilan martial globalement inférieures aux recommandations. En revanche 43% des néphrologues n’hésitent pas à traiter des carences martiales en l’absence d’anémie. Enfin seulement la moitié des néphrologues fait profiter leurs patients IRC non dialysés des fortes doses de fer et des espacements importants d’injections.
94% des néphrologues traitent par fer injectable des patients dialysés.
Pourquoi ce chiffre n’est-il pas de 100% ? Quel est le frein pour 6% des néphrologues à prescrire du fer injectable au patients dialysés ? Plus de 7 néphrologues sur 10 prescrivent du fer injectable aux patients IRC stade 3-5. Ce chiffre peut engendrer un certain étonnement. Pourquoi 30% des néphrologues se privent-ils de la possibilité d’utiliser le fer injectable chez ces patients ? Près de 30% des néphrologues prescrivent du fer injectable aux patients transplantés. Ce chiffre peut refléter la moindre proportion des transplantés dans la patientèle des néphrologues interrogés, et la moindre sévérité de l’IRC chez les patients transplantés.
La voie IV en tête
La voie d’administration du fer en première intention chez les patients IRC stade 3-5 non dialysés est à juste titre la voie orale pour 86% des néphrologues, mais moins d’un néphrologue sur deux prescrit le fer IV de manière inconditionnelle. L’autre groupe n’a recours au fer IV qu’en cas de carence martiale profonde ou symptomatique.
Des cibles disparates
Les réponses des néphrologues suscitent également des interrogations. Elles reflètent certainement le caractère craintif des néphrologues, et le décalage entre les pratiques et les différentes recommandations.
Concernant le taux de saturation de la transferrine (TSAT), le traitement martial est débuté pour des valeurs de TSAT inférieures à 20% pour plus de 90% des néphrologues. Les cibles de TSAT sont assez disparates : TSAT à 20% pour 25% des néphrologues, TSAT à 25% pour 35% d’entre eux et TSAT à 30% pour 19% d’entre eux.
Concernant les valeurs de ferritine, le traitement martial est débuté pour des valeurs inférieures à 50 ng/ml pour 15% des néphrologues, inférieures à 100 ng/ml pour 50% d’entre eux et inférieures à 200 ng/ml pour 25%.
Les cibles de ferritine sont entre 100 et 200 ng/ml pour 20% des néphrologues, entre 200 et 400 ng/ml pour 52% d’entre eux, et entre 400 et 600 ng/ml pour seulement 8%.
Les recommandations KDIGO 2012 proposent des cibles de TSAT supérieures à 30% et des cibles de ferritine supérieures à 500 ng/ml. Dans le même temps, les recommandations européennes plaident en faveur de cibles de TSAT supérieures à 25% et des cibles de ferritine supérieures à 100 ng/ml pour l’IRC non dialysé et supérieures à 300 ng/ml pour le dialysé. Il est mentionné que les limites de TSAT = 30% et de ferritine = 500 ng/ml ne doivent pas être intentionnellement dépassées.
Ainsi, un praticien sur deux suit des cibles inférieures aux recommandations KDIGO.
Traiter la carence martiale en l’absence d’anémie ?
43% des néphrologues disent traiter en l’absence d’anémie. Une analyse de la littérature montre qu’il s’agit d’un sujet assez controversé, ce qui montre que paradoxalement les néphrologues peuvent être aussi parfois téméraires. En pathologie la question a été posée suite aux résultats spectaculaires montrés chez les patients insuffisants cardiaques carencés en fer et sans anémie traités par fer carboxymaltose dans l’étude FAIR-HF publiée en 2009. Ces résultats ont été confirmés par l’étude CONFIRM-HF publiée en 2015.
C’est en conjuguant recommandations, expérience et savoir-faire que les praticiens retiennent la thérapeutique qui leur semble être la meilleure. Dans le cas Dur fer IV, les néphrologues sont confrontés à des problèmes organisationnels comme l’absence d’hôpital de jour, l’indisponibilité en pharmacie, l’éloignement du patient ou le coût du traitement. Les pratiques de 20 à 30% des néphrologues montrent une sous-prescription de fer. Il convient d’optimiser les apports de fer chez les patients atteints de maladie rénale chronique.
Utilisation du fer en néphrologie : enquête sur les pratiques des néphrologues français Philippe Brunet, Gabriel Choukroun, Bruno Moulin, Philippe Zaoui, Eric Thervet Luc Frimat, Charles Chazot. 1769-7255/C 2020 Société francophone de néphrologie, dialyse et transplantation.
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