Les infections respiratoires sont le premier type d’infection en France. Le pneumocoque, un microbe qui peut être hébergé dans notre organisme principalement au niveau du pharynx est le principal responsable des infections pneumonies bactériennes. Il est aussi la cause principale d’otites ou de méningites bactériennes. Dans tous les cas, une infection à pneumocoques peut être grave avec un risque de septicémie, de choc septique ou de décompensation d’une maladie sous-jacente comme c’est le cas chez les personnes aux âges extrêmes de la vie, celles souffrant d’une immunodépression ou atteintes de maladies chroniques (comorbidités).
Le ministère de la santé préconise de vacciner, en France, les personnes chez qui le risque d’infection à pneumocoque est augmenté. Cela concerne :
Les enfants avant l’âge de 5 ans (mais pas les personnes âgées qui sont pourtant à risque).
Les personnes atteintes de maladie(s) chronique(s) : diabète, maladies respiratoires type BPCO, maladies chroniques du foie, maladies chroniques du rein, maladies chroniques cardiaques.
Les personnes souffrant d’immunodépression : maladies diminuants la réponse du système immunitaire comme par exemple au cours des cancers, après une transplantation, ou sous l’effet de traitements immunosuppresseurs ou des corticoïdes.
Le schéma vaccinal préconisé est le même pour toutes les catégories d’adultes (à part les greffés de cellules souches hématopoïétiques), il comprend :
Deux injections vaccinales associant un vaccin 13-valents conjugués (VPC-13), suivi au moins 2 mois plus tard d’un vaccin polyosidique 23-valents (VPP-23).
Une dose de rappel avec un vaccin 23-valents doit être réalisée 5 ans plus tard.
Malgré les recommandations déjà anciennes, les populations à risque d’infection pneumocoque ne sont que très peu vaccinés, et aucun suivi de la couverture vaccinale n’est réalisé en France, contrairement à la grippe où les autorités de santé Françaises publient un rapport chaque année, montrant un taux moyen de vaccination des populations à risque de l’ordre de 50% alors que toutes ces personnes reçoivent annuellement une ordonnance vaccinale venant de l’Assurance maladie.
C’est dans ce contexte que nous avons rencontré le docteur Benjamin Wyplosz, infectiologue au CHU Bicêtre, en charge du Centre de vaccinations internationales, et membre du groupe français de travail sur la vaccination de la Société savante de maladies infectieuses (SPILF, société de pathologie infectieuse de langue française). Il est également impliqué dans le parcours de vaccination des malades atteints de cancers à l’hôpital Gustave Roussy.
Afin de réaliser un état des lieux de la couverture vaccinale pneumococcique chez les populations à risque, le Dr. Wyplosz a réalisé, avec une équipe de chercheurs et le soutien du laboratoire Pfizer, une étude sur les données de l’Assurance Maladie correspondant à 75% de la population française. Cette étude, réalisée sur 5 années consécutives (de 2014 à 2018), est divisée en deux parties et a, dans un premier temps, identifié les effectifs des populations à risque d’infection à pneumocoque en France, puis, évalué dans un second temps les couvertures vaccinales chez ces malades.
État des lieux de la vaccination pneumocoque
L’étude a pu identifier en 2018, un total de 3,63 millions de français présentant au moins une comorbidité, et 570 035 ayant au moins une cause d’immunosuppression ; 18% présentent deux conditions d’intérêts ou plus. Parmi ces populations à risque, uniquement 4,5 % était à jour de sa vaccination pneumococcique.
Les chiffres montrent également que durant la période de l’étude, la population atteinte de comorbidités a augmenté de 10 % alors que la couverture vaccinale pour cette population a perdu quasiment 10% au cours du suivi. La proportion de personnes correctement vaccinées a diminué en 2017 à 2,9% quand le vaccin 13-valents (VPC-13) a été ajouté dans les recommandations françaises pour toutes les personnes à risque.
Sur la même période concernant les personnes immunosupprimées, la population a augmenté de 16% et la couverture vaccinale à quasiment doublée, mais n’atteignant que 18,8 % de la population totale concernée.
Pour déterminer si le manque de vaccination était lié à un problème d’accès aux soins, le nombre de consultation par malade a été déterminé pendant l’année 2018. Il est ressorti que la quasi-totalité des personnes à risque d’infection pneumocoque a vu un professionnel de santé dans l’année : 92,6 % leur médecin traitant, 12,1 % un spécialiste en ville et 36,3% un spécialiste en hôpital. Il ne s’agissait donc pas d’un problème d’accès aux soins mais un problème d’accès à la vaccination car, en moyenne, les médecins généralistes ne prescrivaient qu’un seul vaccin pneumococcique par an, et les spécialistes qu’un seul durant les 9 années de suivi de l’étude.
Ces résultats montrent que les recommandations vaccinales ne sont pas suivies par le corps médical. Plusieurs hypothèses ont été soulevées :
Le manque de temps : les consultations, réalisées en un temps imparti, nécessite d’aborder les sujets par priorité, et la vaccination n’arrive souvent qu’en dernier.
L’appréhension des médecins fasse à la réticence potentielle des patients : les patients viennent en consultations pour une maladie et un traitement, et ne sont pas toujours ouverts à la thématique vaccinale. Il y a aussi un manque de formation durant les études de médecine (souvent 1 ou 2 heures de cours sur la vaccination dans tout le cursus) ce qui peut générer de l’appréhension chez certains médecins, qui ne sont pas à l’aise pour évoquer le sujet ni pour répondre aux questions potentielles.
Pas d’objectif de Santé Publique : à l’inverse de l’Angleterre où les médecins peuvent recevoir des primes s’ils vaccinent leurs patients, il n’y a pas d’objectif de santé publique pour les médecins en France. Ainsi, ils peuvent avoir tendance à repousser la prescription à la prochaine consultation, ou à compter sur leurs collègues spécialistes ou généralistes pour le faire.
Manque d’engagement des autorités publiques : pour la grippe, il est érigé annuellement une campagne de vaccination ainsi que des bons de vaccination pour les personnes à risque. Ce n’est pas le cas pour la vaccination pneumococcique où il n’y a pas de structuration du parcours.
La non-disponibilité des vaccins dans les hôpitaux : aujourd’hui les vaccins ne sont remboursés qu’uniquement en ville. Si un médecin souhaite prescrire un vaccin à l’hôpital, l’administration sera aux frais de l’hôpital. Ainsi, de nombreux hôpitaux ne souhaitent pas délivrer des vaccins en hospitalisations à leurs frais.
Comparaison avec les autres vaccinations
Actuellement, la prescription de la vaccination pneumococcique est réalisée à l’initiative des médecins et il n’y a pas de suivi en santé publique comme c’est le cas pour la grippe ou le COVID. Un carnet de vaccination électronique pourrait être utilisé pour améliorer la prescription des vaccins pneumococciques et la communication entre médecins et pharmaciens :
Pour la grippe, la prescription du vaccin provient de l’Assurance Maladie : les populations à risque reçoivent un rappel et une prescription directement par mail
Pour la COVID-19, un carnet de vaccination numérique a été développé, permettant le suivi du statut vaccinal ainsi que l’envoi de rappels de vaccination
Si l’on prend l’exemple de l’Australie ou la Nouvelle-Zélande, une campagne de vaccination contre le papillomavirus a permis de vacciner l’entièreté de la population et de faire disparaitre les complications du virus (condylomes et cancers du col de l’utérus).
Une homogénéisation des pratiques entre les différentes vaccinations pourrait aider à améliorer les couvertures vaccinales ainsi qu’à mieux encadrer les suivis des patients.
« En vaccination une occasion manquée n’est jamais rattrapée. La COVID-19 en est la preuve : en vaccinant 97% de la population française, on a eu une opportunité unique et inespérée d’avoir accès à l’ensemble de la population française et de faire un point sur le carnet de vaccination. Maintenant que cette occasion est passée, il n’y a pas le choix que de reprendre les 60 millions de personnes une par une ». Dr Benjamin Wyplosz
L’ « empowerment » de la population
L’enpowerment de la population, que l’on traduirait en français par l’autonomisation, aurait pour but de rendre la population responsable de sa santé. La communication et l’éducation de la population, qui pourrait débuter dès l’école sur les vaccins existants et les maladies permettraient aux personnes de se prendre en charge pour s’informer et demander elles-mêmes les vaccins aux acteurs de la santé qui s’occupent d’elles. Le patient passerait alors d’une attitude passive à celle d’acteur de sa santé.
La continuité de l’étude sur les données 2019-2021
Afin d’étudier l’impact de la campagne vaccinale contre la COVID-19 sur la vaccination pneumococcique, l’étude va être prolongée sur les données de 2019 à 2021, sur 100% de la population française.
Les objectifs principaux de cette future analyse seront aussi de voir si la réécriture des recommandations vaccinales françaises par les sociétés savantes de pneumologie et de diabétologie a permis d’augmenter la prescription dans ces deux spécialités, ainsi que d’évaluer l’impact du COVID-19 sur la vaccination. Étant donné que les ventes de vaccins pneumocoques ont baissé de 30%, il faut surement s’attendre à observer une baisse de la couverture vaccinale. Les résultats seront très certainement publiés sur cette année 2023.
En conclusion, l’étude a montré une couverture vaccinale contre le pneumocoque très faible en France (4,5 %), et qui diminue dans le temps chez les 4 millions de français atteints de comorbidités (pour atteindre 2,9 %). Cette couverture augmente chez les 500 000 personnes immunodéprimées mais reste modeste avec un total estimé à 18,8 %. Les vaccins, bien qu’efficaces ne sont actuellement pas assez prescrits mais différents leviers existent, par exemple : agir sur les pouvoirs publics pour obtenir le remboursement des vaccins à l’hôpital et développer le carnet de santé électronique ; communiquer davantage auprès des professionnels de santé lors des congrès et autres événements sur les recommandations et l’importance de la prescription, et intégrer dans leurs formations des modules sur la vaccination, donner la possibilité aux infirmières et aux pharmaciens de prescrire et réaliser les vaccins, ainsi qu’éduquer les patients et les rendre acteur de leur santé.
Alice Moreau-Gely
Sources :
Wyplosz B, Fernandes J, et al. Adults at risk of pneumococcal disease in France. Infectious Diseases Now. 2021; 51(8):661-666
Wyplosz B, Fernandes J, et al. Pneumococcal and influenza vaccination coverage among at-risk adults: A 5-year French national observational study. Vaccine. 2022; 40:4911-4921
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