Nous avons tous présent à l’esprit les photos cette file interminable de grimpeurs sur l’arête sommitale de l’Everest. Au sein de cette lente chenille de « conquérants de l’inutile », on trouve des grimpeurs professionnels, des sherpas et des amateurs qui rêvent d’altitude. À notre connaissance, il n’y a pas d’évaluation cardiovasculaire systématique au camp de base à 5300 m !
Tous ces grimpeurs vont progressivement entrer dans une zone où la pression atmosphérique est très basse et où l’oxygène est rare en raison de cette faible pression. Les agences commerciales qui accompagnent ces grimpeurs au sommet ne communiquent pas sur les décès ou sur les différents accidents médicaux qui jalonnent le parcours difficile depuis le camp de base jusqu’au sommet de l’Everest à 8849 m.
De nombreuses études ont documenté la saturation en oxygène des grimpeurs mais très peu d’études se sont attachées à définir le risque rythmique.
La cohorte SUMMIT avait pour objectif de réaliser un enregistrement continu du rythme cardiaque depuis le camp de base jusqu’au sommet à l’aide d’un enregistrement holter sophistiqué. Les grimpeurs qui se prêtaient à cette analyse subissaient au camp de base un électrocardiogramme 12 dérivations, une échocardiographie, une épreuve d’effort ainsi qu’un enregistrement holter avant l’ascension. L’objectif de ce travail était de documenter les troubles du rythme supraventriculaire de plus de 30 secondes, les troubles ventriculaires de plus de trois battements anormaux ainsi que tous les épisodes de bradyarythmies c’est-à-dire les arrêts sino- atriaux, les blocs auriculoventriculaires du deuxième degré et les blocs auriculoventriculaires du troisième degré.
La cohorte comportait 41 sujets ; tous étaient des hommes âgés en moyenne de 33,6 ans et en raison de la lourdeur du protocole, tous les sujets étaient Népalais. 34 sujets ont été documentés depuis le camp de base à 5300 m, 32 sujets ont dépassé 7900 m, 23 sujets ont dépassé 8500 m et 14 sujets ont atteint le sommet de l’Everest.
Pendant l’ascension, 45 événements rythmiques se sont produits chez 13 sujets soient 38,2 %. 43 épisodes de bradyarythmies sont survenus chez 13 sujets c’est-à-dire 11 blocs sino-auriculaires, 20 épisodes de blocs auriculoventriculaires de type Mobitz 1,10 épisodes de blocs auriculoventriculaires de type Mobitz 2 et 2 blocs auriculoventriculaires du troisième degré. Deux épisodes de tachycardie ventriculaire ont été observés chez deux sujets soient 5,9 %. 9 épisodes d’arythmie ont été observés chez 5 sujets quand l’oxygénothérapie était en place. À l’opposé, 36 événements rythmiques ont été observés chez 11 sujets à des attitudes plus basses quand l’oxygène n’était pas utilisé.
Lorsque l’on analyse l’ensemble des événements rythmiques par épisodes de 24 heures, les événements rythmiques augmentent entre 5300 m et 7300 m passant de 0,16 épisodes par 24 heures à 0,37 épisodes par 24 heures. Ces épisodes rythmiques diminuent significativement à des attitudes plus élevées quand l’oxygène est utilisé.
En conclusion, cette étude montre que la très haute altitude est dangereuse même pour les sujets normaux et les épisodes rythmiques dangereux diminuent significativement avec l’utilisation de l’oxygène. Bien évidemment, la même étude aurait dû être faite chez des sujets amateurs qui sont peut-être porteurs de différentes anomalies cardiovasculaires qui menacent leur statut vital à haute altitude…
Cette cohorte publiée dans une revue prestigieuse rend hommage aux hommes Népalais qui pour un maigre salaire sont prêts à risquer leur vie pour des femmes et des hommes riches habitant à l’autre bout de la planète.
Professeur Jean Ferrières – Fédération de cardiologie CHU de Toulouse
Référence: Sherpa K, et al. Risk of Cardiac Arrhythmias Among Climbers on Mount Everest. JAMA Cardiol. 2024 May1;9(5):480-485.
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