La peau exprime à merveille plusieurs modifications internes de l’organisme tels les déficits en minéraux ou en vitamines (fer, zinc, vit C vit B12), comme elle peut également être le témoin d’une extension d’un processus tumoral ou d’une déficience viscérale avancée.
Mais dans certains cas, la peau s’exprime par une réaction, à la suite d’une attitude thérapeutique quelle qu’elle soit (arrêt brutal d’un traitement, un usage excessif ou un dosage mal adapté). Certaines de ces réactions sont tout à fait prévisibles et par conséquent, le patient doit en être informé afin de les prendre en charge assez rapidement.
Nous en citerons quelques cas cliniques qui expriment bien cette révolte cutanée.
Cas n°1 :
Il s’agit d’une jeune femme de phototype V, âgée de 25 ans qui était venue consulter pour l’apparition de lésions foncées de couleur bleu-gris ou bleu noir sur les zones temporales et malaires alors qu’elle suivait un traitement à visée éclaircissante et ce depuis environ dix mois.
Fig 1 : macules bleutées au niveau du visage
Fig 2 : macules pigmentées avec centre achromique au niveau des joues
En fait, l’examen retrouvait des lésions maculeuses foncées au niveau du visage : front, joues et zones mandibulaires. (Fig. 1,2). L’apparition de ces lésions remontait à trois mois.
La patiente était très inquiète surtout de l’aspect inesthétique de ces lésions.
L’interrogatoire retrouvait donc la prise régulière de crèmes à base d’hydroquinone dont la concentration n’était pas précisée.
L’aspect clinique des lésions et les données de l’anamnèse avaient permis de poser le diagnostic d’Ochronose exogène acquise à différencier de l’ochronose endogène qui est en fait l’expression d’une maladie héréditaire l’alcaptonurie.
Avoir une peau claire est le but de la plupart des femmes en Afrique sub- saharienne et pour ça elles s’appliquent plusieurs crèmes disponibles sur les marchés parallèles à base d’hydroquinone, de mercure et de corticostéroides…le but étant toujours d’éclaircir la peau et répondre aux canons de la beauté admis par la société.
En fait l’usage prolongé (plus de six mois) de produits phénoliques entraine l’apparition de zones plus pigmentées avec une coloration bleu gris ou bleu noir sur les zones « traitées » aggravant ainsi l’état initial. Des cas similaires ont été rapportés à la suite de la prise d’anti paludéens de synthèse (1).
En fait cette complication ne touche pas uniquement les peaux noires mais des cas ont été rapportés chez des patientes hispaniques et asiatiques.
Ces lésions apparaissent comme conséquence à l’inhibition de l’homogentisique oxydase par l’hydroquinone aboutissant à l’accumulation d’acide homogentisique et de ses métabolites (2).
En fait en voulant inhiber la mélanogenèse par l’hydroquinone, les mélanocytes se mettent à en fabriquer plus. Le traitement de ces lésions est le plus souvent décevant mais de toutes les façons il faut arrêter les traitements utilisés et prescrire des écrans solaires et une corticothérapie locale afin d’atténuer la couleur de ces lésions.
L’attitude la plus sage est préventive en réduisant les prescriptions des traitements à base d’hydroquinone, même les faiblement dosés, pour une durée limitée et surtout de détecter les complications à temps, car les lésions débutent par un érythème et une hyperpigmentation discrète.
Cas n°2 :
Il s’agit d’un patient âgé de 38 ans qui vient consulter pour des lésions linéaires et atrophiques et grossièrement symétriques au niveau des flancs, des cuisses et des régions axillaires (Fig.3)
L’examen clinique retrouvait des lésions parallèles atrophiques, grossièrement symétriques, de couleur pourpre. Le patient était suivi pour une maladie de Cushing diagnostiquée il y a six mois. Le diagnostic de vergetures était évident et surtout dans ce contexte.
Fig 3 : stries linéaires pourpres
Les vergetures sont connues pour être la conséquence d’une distension excessive des fibres élastiques du derme à la suite des efforts physiques soutenus ou bien des modifications physiologiques telle la grossesse.
En fait cette action mécanique n’est pas toujours vérifiable et une composante endocrinienne doit être prise en considération d’autant plus que les vergetures se voient chez les personnes à la suite des cures d‘amaigrissement ou chez les adolescents (3).
Les vergetures sont des atrophies cutanées de forme linéaire, elles forment des stries fuselées, parfois onduleuses de couleur rouge violacé au début puis devenant brillantes blanc nacré parfois hypo chromiques. Leur surface est lisse ou plissée. Leur impact cosmétologique et même psychologique est important chez les femmes, d’ailleurs elles sont les plus touchées.
Habituellement symétriques, les vergetures siègent par prédilection sur le ventre, les flancs, les cuisses, les seins et les fesses.
Elles persistent indéfiniment.
Différents procédés thérapeutiques ont été utilisés mais les résultats étaient élémentaires (4).
Cas n°3 :
C’est un jeune patient âgé de 25 ans qui était venu consulter pour un prurit à prédominance nocturne évoluant déjà depuis quelques semaines.
L’examen clinique avait permis de retrouver des lésions vésiculaires au niveau des mains et surtout des lésions nodulaires de tailles différentes au niveau des organes génitaux externes.
Le diagnostic de gale évoqué, il fût confirmé par la mise en évidence, par dermoscopie, du sarcopte (sarcopte scabiei var. hominis) au niveau de certaines lésions vésiculaires des mains.
Un traitement local à base de benzoate de benzyle fût prescrit pour une durée de deux jours en associant bien sûr la désinfection de la literie et le traitement des sujets contacts.
Le patient était revenu consulter trois semaines après pour la même symptomatologie, voire une extension des lésions et l’aggravation du prurit. L’examen clinique avait noté des lésions d’irritation avec une xérose cutanée évidente au niveau des zones traitées et même au-delà (Fig.4).
Fig 4 : lésions eczématiformes au niveau du tronc et région génitale
L’interrogatoire du patient avait permis de noter une utilisation excessive du produit prescrit (une dizaine de jours consécutifs au lieu de deux). Le patient voulait éradiquer le parasite...il en a tellement souffert…
En fait, lorsqu’un patient suivi pour une gale revient vous voir pour non- amélioration de sa symptomatologie, deux hypothèses doivent être discutées : une insuffisance ou un excès d’utilisation du produit.
Dans notre cas, le patient continuait à se gratter du fait qu’il ait développé un eczéma post-scabieux. Un arrêt des applications du produit anti scabieux et la prescription d’émollients avait permis d’améliorer l’état clinique du patient. La solution à base de benzoate de benzyle est connue pour être irritante, donc l’appliquer plusieurs jours de suite ne pourrait qu’engendrer une réaction de la part de la peau (5,6,7).
Cas n°4 :
Patiente âgée de 42 ans suivie pour un psoriasis étendu depuis une dizaine d’années et pour lequel elle avait reçu plusieurs traitements, topiques et systémiques avec des résultats moyens.
Vu l’association d’une atteinte inflammatoire articulaire, elle a été mise sous infliximab selon le protocole connu.
L’état de la patiente s’était nettement amélioré sur les plans et cutané et rhumatismal.
Mais après dix mois de traitement, la patiente avait remarqué la réapparition de lésions erythémato-squameuses qui avaient continué à s’étendre malgré que la patiente n ’avait pas arrêté son traitement.
L’examen clinique confirmait l’aspect psoriasique des nouvelles lésions et l’histologie avait confirmé le diagnostic (Fig.5).
Fig 5 : psoriasis étendu
Il s’agit en fait d’un psoriasis authentique connu sous le nom de psoriasis paradoxal car il réapparait chez des patients traités et améliorés, du moins au début, pour un psoriasis.
Cette réaction paradoxale a été rapportée par plusieurs auteurs chez des patients traités par des anti-TNF alpha.
Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer ce phénomène dont le développement d’anticorps inhibant l’action des anti -TNF alpha, ou bien l’apparition de cour-circuits aboutissant à la stimulation de l’épiderme (8,9,10).
Cas n°5 :
Patient âgé de 45 ans suivi pour un psoriasis étendu depuis une dizaine d’années, traité par rétinoides, photothérapie et dermocorticoides. Son état était plus ou moins équilibré avec des améliorations lors de la saison estivale.
Récemment, avec l’apparition d’une symptomatologie articulaire inflammatoire pour laquelle il s’est vu prescrire des corticoides par voie générale pour une durée de trois semaines, ce qui avait d’ailleurs permis d’améliorer son état rhumatologique. Après l’arrêt des corticoides, le relai étant assuré par les anti-inflammatoires non stéroidiens, le patient s’est vu apparaitre une éruption éruption pustuleuse généralisée dans un contexte « septicémique » avec fièvre et une altération nette de l’état général (Fig.6).
Fig 6 : psoriasis pustuleux
Le diagnostic de psoriasis pustuleux généralisé type Zumbuch fût retenu sur des éléments :
Anamnestiques : l’arrêt des corticoides
Cliniques : l’aspect des lésions avec des pustules amicrobiennes, le mauvais état général du patient, la fièvre
Et histologiques qui montrent l’aspect d’une pustule multiloculaire au niveau de l’épiderme.
Il s’agit d’une forme grave de psoriasis dont le pronostic est très sévère vu les complications potentielles tels les surinfections, les thromboses veineuses profondes, les insuffisances rénales , cardiaques,…
Parmi les facteurs à l’origine de cette forme : l’arrêt brusque d’une corticothérapie systémique et l’usage des anti inflammatoires non stéroidiens (11).
Le traitement est difficile et nécessite parfois le recours à la cyclosporine avec tous les moyens de réanimation médicale.
En conclusion, plusieurs thérapeutiques utilisées dans un but précis,peuvent tourner à l’inverse de leur objectif. Cette déviation peut être due à un usage non conforme ou bien à des réactions immunologiques dont la peau connait les secrets. Afin d’éviter ces complications, un entretien détaillé avec le patient s’impose.
L’entretien expliquerait les différentes actions potentielles des traitements prescrits et permettra également d’insister sur la compliance du patient.
La connaissance de ces différentes complications, permettra de les détecter à un stade précoce et éventuellement apporter une solution.
Pr. Nejib Doss
Références :
1- Prachi A Bhattar, et al. Exogenous Ochronosis. Indian J Dermatol. 2015 Nov-Dec; 60(6): 537–543.
2- Amir Qorbani et al. Exogenous Ochronosis (EO) : Skin lightening cream causing rare caviar-like lesion with banana-like pigments; review of literature and histological comparison with endogenous counterpart. Autops Case Rep. 2020; 10(4): e2020197.
3- Archana J. Lokhande and Venkataram Mysore. Striae Distensae Treatment Review and Update. Indian Dermatol Online J. 2019 Jul-Aug; 10(4): 380–395.
4- S. Ud‐Din, D. McGeorge, and A. Bayat. Topical management of striae distensae (stretch marks): prevention and therapy of striae rubrae and albae. J Eur Acad Dermatol Venereol. 2016 Feb; 30(2): 211–222.
5- D. Engelman, et al. The 2020 International Alliance for the Control of Scabies Consensus Criteria for the Diagnosis of Scabies. Br J Dermatol. 2020 Nov; 183(5): 808–820.
6- Sascha Ständer, Sonja Ständer. Itch in Scabies—What Do We Know? Front Med (Lausanne) 2021; 8: 628392.
7- Graham Johnston, Mike Sladden. Scabies: diagnosis and treatment BMJ. 2005 Sep 17; 331(7517): 619–622.
8- Luca Fania, et al. Paradoxical psoriasis induced by TNF‐α blockade shows immunological features typical of the early phase of psoriasis development. J Pathol Clin Res. 2020 Jan; 6(1): 55–68.
9- Alessio Mylonas, Curdin Conrad. Psoriasis: Classical vs. Paradoxical. The Yin-Yang of TNF and Type I Interferon Front Immunol. 2018; 9: 2746. Published online 2018 Nov
10- Curdin Conrad, Jeremy Di Domizio, Alessio Mylonas, Cyrine Belkhodja, Olivier Demaria, Alexander A. Navarini, Anne-Karine Lapointe, Lars E. French, Maxime Vernez, Michel Gilliet TNF blockade induces a dysregulated type I interferon response without autoimmunity in paradoxical psoriasis
Nat Commun. 2018; 9: 25. Published online 2018 Jan 2. doi: 10.1038/s41467-017-02466-4
11- Katie E Benjegerdes, Kimberly Hyde, Dario Kivelevitch, and Bobbak Mansouri. Pustular psoriasis: pathophysiology and current treatment perspectives. Psoriasis (Auckl). 2016; 6: 131–144.
Comments