La diète cétogène est une pratique nutritionnelle utilisée depuis plusieurs décennies pour traiter un certain nombre de pathologies dans des aires thérapeutiques variées. Sa pratique a également gagné du terrain ces dernières années par sa popularisation sur les réseaux sociaux. Lors du congrès de l’American College of Cardiology (ACC 2023), une présentation du Dr Iatan interroge sur les risques d’une telle pratique.
Le principe des régimes cétogènes
C’est un régime riche en graisses et faible en sucres (LCHF Low Carb Hight Fat) avec un apport de protéines restant adéquat. La majorité des calories de ce régime provient donc des acides gras (plus de 65% dans certains de ces régimes) tandis que les sucres sont réduits à leur strict minimum avec un apport d’environ 40 grammes par jour. Les personnes suivant ce régime se restreignent donc de consommer tout ce qui est sucres y compris ceux provenant de fruits, de céréales ou même du lait(1).
Le principe de la diète cétogène réside dans un double mécanisme d’apport lipidique et de privation glucidique. L’absence de glucides va entraîner un switch métabolique vers la production d’un substrat énergétique alternatif, les corps cétoniques, qui deviennent ainsi le premier substrat énergétique de l’organisme. Les effets sur le métabolisme énergétique sont alors assez proches de ce qui peut être observé lors d’un jeûne. Le régime riche en lipides va quant à lui pouvoir apporter une source d’acétyl-CoA nécessaire à la cétogenèse via la bêta oxydation de ces mêmes lipides(2). Les corps cétoniques vont ensuite circuler dans le sang pour être métabolisés par le rein, les muscles ou le cœur. Ils peuvent également traverser la barrière hémato-encéphalique et pénétrer le parenchyme cérébral.
D’une utilisation médicale… La diète cétogène est un sujet de plus en plus discuté au sein de la communauté médicale. Cet intérêt se traduit par une augmentation exponentielle du nombre de publications sur le sujet depuis les années 2000, passant de quelques dizaines par an à plus de 500/ans au début des années 2020. Le régime cétogène est utilisé depuis les années 1920 pour atténuer la fréquence et la profondeur des crises dans les épilepsies pharmacorésistantes et est toujours utilisé de nos jours dans cette indication. Le mécanisme d’action sur l’épilepsie n’est à ce jour pas parfaitement identifié, mais plusieurs études suggèrent qu’il s’agirait du résultat d’un cocktail d’effets secondaires à ce régime. Il est estimé qu’environ 50% des patients souffrant d’épilepsie pharmacorésistante observent alors une réduction de 50% de leurs crises3. Les patients atteints de syndrome déficitaire en Glucose Transporter type 1 (GLUT1 DS) et de syndrome de déficience en pyruvate déshydrogénase (PHDH) peuvent également bénéficier de cette thérapie nutritionnelle. Une diète cétogène est mise en place dès le diagnostic de la maladie, avant tout traitement pharmacologique(3). Cette « thérapie nutritionnelle » a également été explorée dans d’autres aires thérapeutiques. En 1927, Warburg décrit ce qui sera appelé « l’effet Warburg », une mutation acquise par les cellules cancéreuses qui modifie la façon dont ces cellules acquièrent leur énergie. Les cellules cancéreuses switchent en glycolyse anaérobie, un métabolisme au rendement plus faible et qui demande en donc une consommation de glucose fortement augmentée. En conséquence, il paraît raisonnable de penser qu’un régime alimentaire visant à priver l’organisme de glucose au profit des corps cétoniques pourrait avoir un effet sur le développement des tumeurs en ciblant cette faiblesse métabolique. Cette hypothèse a montré des résultats favorables lors d’études précliniques, mais n’a pas été confirmée lors des études cliniques. Malgré la publication de plusieurs essais contrôlés randomisés, les bénéfices du régime cétogène sur la réponse tumorale, sur la survie, sur la qualité de vie, avec ou sans médicaments anticancéreux, n'ont pas été démontrés chez le patient. Certaines études mettent même en avant un risque accru de sarcopénie. Le message de prudence de la NACRe (Nutrition, Activité physique et Cancer Recherche) contre l’usage inadéquat de ces régimes chez les patients à risque de dénutrition reste donc d’actualité(4).
… A une « trend » sur les réseaux sociaux La diète cétogène sort à présent du domaine strictement médical et rentre de plus en plus dans la culture populaire.
Les livres de recettes ont souvent été des succès de librairie et ce phénomène continue avec une présence grandissante des publications destinées aux recettes cétogènes pour le quotidien. Ces régimes alimentaires connaissent également un certain succès ces dernières années sur les réseaux sociaux. Les bénéfices espérés de cette diète sur la perte de poids ont entraîné l’émergence d’influenceurs, dont certains peuvent dépasser les 100K abonnés sur Instagram. Le hashtag « #keto » a été utilisé plus de vingt-six millions de fois et semble continuer à gagner en popularité. Une étude publiée en 2021 met ainsi en avant que près de la moitié des personnes pratiquant la diète cétogène suivent ces conseils issus des réseaux sociaux tandis que seulement 2% demandent conseil à un diététicien(5).
Les dangers de cette mode émergente Cet effet de mode peut néanmoins se révéler problématique pour ceux qui adoptent une telle diète.
Le régime cétogène ne doit en effet pas être considéré comme bénin. La plupart des études évaluant cette diète, notamment chez l’enfant, mettent en avant certains effets secondaires tels que la survenue de constipations, d’acidoses de bas grade et d’hypoglycémies 5. Il est également reconnu qu’un régime pauvre en sucres et riche en lipides peut être néfaste et entraîner une augmentation des concentrations de LDL, du cholestérol et des triglycérides dans la circulation(6). C’est dans ce contexte que s’inscrit la présentation du Dr Iulan Iavan lors du congrès 2023 de l’ACC. Cette présentation apporte les premiers résultats (non publiés à ce jour) d’une étude portant sur le suivi de patients adeptes d’un régime pauvre en sucre et riche en graisses (LCHF) sur une durée moyenne de près de 12 ans. Le groupe LCHF présente une augmentation des niveaux de LDL-C (3,80 Vs 3,64 mmol/L ; p=0.004) et d’apoB (1.09 vs. 1.04 g/L; p<0.001) par rapport au groupe suivant une diète standard. L’étude montre également une augmentation des événements cardiovasculaires indésirables majeurs (MACE) chez cette population en comparaison (9.8% vs. 4.3%; adjusted HR: 2.18; 95%CI: 1.39–3.43; P<0.001)(7). L’auteur de l’étude reconnait que tous les patients ne réagissent pas aux diètes LHCF de la même façon. « Chez la plupart des patients, les taux de cholestérol ont tendance à monter tandis que chez certaines personnes, ces taux restent les mêmes voire ont tendance à baisser. Nous allons à présent chercher à identifier les marqueurs spécifiques qui indiqueront comment une personne va répondre à ce type de régime » indique l’auteur de la recherche.
En conclusion, nous pouvons dire que la confirmation des effets possiblement néfastes de ces régimes pauvres en sucres et riches en graisses permet de jeter un regard nouveau sur la montée de la mode « Keto » promulguée sur les réseaux sociaux.
Jérôme Le Goareguer
Sources :
1. Zick SM et al., Pros and Cons of Dietary Strategies Popular Among Cancer Patients. Oncology (Williston Park). 2018 Nov 15;32(11):542-7. PMID: 30474102. 2. Zhang W et al., Ketogenic Diets and Cardio-Metabolic Diseases. Front. Endocrinol.2021 12:753039.
3. Zarnowska et al., Nutrients. 2020 Aug 27;12(9):2616.
4. Guinhut, Raynard, Médecine des Maladies Métaboliques, Volume 16, Issue 7, 2022.
5. Shalabi et al., Cureus. 2021;13(12):e20390.
6. Zhuet al., Sig Transduct Target Ther 7, 11 (2022).
7. Communication du site de l’American College of Cardiology, https://www.acc.org/Latest-in-Cardiology/Articles/2023/03/01/22/45/Sun-1215pm-kctogenic-acc-2023 vu le 14/06/2023
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