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Réa : impact du jeûne intermittent

Les différentes études évaluant la nutrition entérale n'ont pas réussi à démontrer les avantages d’une nutrition entérale versus parentérale chez des patients de réanimation et certains essais ont même révélé un préjudice potentiel. Bien que spéculatif, l'absence de bénéfice du support entérale, pourtant physiologique, pourrait s'expliquer par le mode continu des apports comparé aux apports de type intermittent ayant montré des effets bénéfiques dans une population saine. Les mécanismes évoqués comprennent l'amélioration de la synthèse protéique, l'amélioration de la sensibilité à l'insuline, la préservation du rythme circadien, et la stimulation de l'autophagie et de la cétogenèse par les périodes de jeûne.


1. Intérêt du support nutritionnel de type intermittent versus continue

  • Synthèse musculaire

L'administration continue d'acides aminés ne conduit pas à une synthèse continue de protéines musculaires. Après 2-3 h de perfusion, les taux de synthèse myofibrillaire reviennent au taux de base, avant de diminuer. Ce mécanisme témoigne de l'incapacité du muscle squelettique à absorber continuellement des acides aminés pour la synthèse protéique [1].

  • Amélioration de la sensibilité à l'insuline

L'alimentation continue augmente la résistance à l'insuline par l'inhibition du transport hépatique du glucose, processus déjà altéré avec la présence d’une inflammation [2]. Ainsi, il a été montré chez des patients de réanimation avec support nutritionnel intermittent des besoins moindres en insuline exogène comparativement à un support continu [3].

  • Préservation du rythme circadien

Les homéostasies lipidiques, protéiques et énergétiques sont affectées dans une certaine mesure par le rythme circadien. Cette régulation centrale régule « les horloges » locales responsables du métabolisme dans les tissus périphériques [4]. En présence d’une agression et d’un processus inflammatoire, le métabolisme hépatique régule le contrôle de la glycémie et la clairance du glucose, le métabolisme pancréatique régule la sécrétion et la sensibilité à l'insuline, et le métabolisme du muscle squelettique régule l'absorption et l'élimination du glucose. L'apport nutritionnel continu modifie ces rythmes circadiens des hormones intestinales, et les rythmes postprandiaux de la ghréline et de l'insuline en réponse à l'alimentation [5]. On peut supposer un impact bénéfique de la préservation du rythme circadien par des apports intermittents.


2. Intérêt des périodes de jeûne chez le patient de réanimation

Plusieurs avantages du support intermittent sont spécifiquement médiés par la réponse au jeûne

  • L’Autophagie

Un effet potentiel de protection des cellules induit par le jeûne est l'activation de l'autophagie [6]. Dans ce processus activé par les dommages cellulaires, les débris intracellulaires sont recrutés dans une vésicule autophagosomique suivie d'une fusion avec les lysosomes puis dégradation. Cependant, ce processus est fortement inhibé par les nutriments et l'insuline, ce qui peut entraîner une l'accumulation de ces débris cellulaires et la survenue de dommages cellulaires. Des études cliniques ont montré des signes d'insuffisance d'autophagie chez des patients agressés avec alimentation artificielle continue [7]. Dans une analyse post hoc de l'étude EPaNIC, la nutrition parentérale précoce a réduit l'autophagie dans les muscles, en corrélation avec la mise en évidence de lésions musculaires [8]. Par conséquent, l'activation physiologique de l'autophagie par le jeûne intermittent pourrait être un recours thérapeutique des patients agressés.


  • Modification de la réponse métabolique

Un deuxième mécanisme protecteur du jeûne est l'augmentation de la cétogenèse. En effet, l'activation de la cétogenèse est un élément clé de la réaction au jeûne, et de plus en plus de preuves suggèrent qu'une cétogenèse accrue peut être bénéfique en cas de stress [9]. Outre le fait qu'elles ont un meilleur rendement énergétique que le glucose, les cétones ont des propriétés de signalisation. Dans des modèles animaux avec lésions cérébrales, la supplémentation en cétones et/ou un régime cétogène ont modulé les lésions cérébrales et réduit l’atteinte musculaire [10]. Enfin, les cétones peuvent exercer des effets anti-inflammatoires [11].


3. Données cliniques de l’impact du support intermittent chez le patient de réanimation

Malgré le raisonnement physiologique et les preuves physiopathologiques, les données cliniques en faveur du jeûne intermittent chez les patients de réanimation restent modestes. Une analyse récente a permis d'identifier 12 essais cliniques randomisés avec une hétérogénéité importante dans la conception des études, les paramètres rapportés et des effectifs faibles ne permettant pas d’orienter vers un impact bénéfique [12]. Récemment, un essai n'a pas trouvé de bénéfice clinique de l’apport intermittent par rapport à l'alimentation continue [13]. Dans ces études, l'apport nutritionnel était généralement administrée toutes les 4-6 heures voir cyclique (jour-nuit), ce qui peut engendrer une durée de jeûne trop court pour activer les voies potentielles de protection. Dans une étude pilote récente, Van Dyck et al [14] ont constaté une augmentation de la cétogenèse après 4 heures de jeûne, et des altérations dans d'autres marqueurs de la réponse au jeûne après plus de 12 heures de jeûne, confortant l’intérêt de la durée du jeûne. Néanmoins, avec des intervalles de jeûne prolongés, le risque d'intolérance alimentaire devient majeur, puisqu'il faudrait administrer de grande quantité caloriques sur une période plus courte pour éviter la sous-alimentation.

Si l’impact bénéfique support nutritionnel du patient agressé n’est plus à démontrer, ces modalités d’administration restent à clarifier pour des travaux de recherche. Dans ce contexte, l’intérêt du support intermittent avec période de jeûne pourrait être une voie nouvelle dans le support nutritionnel du patient agressé sous réserve de démonstration de son impact en terme morbi-mortalité des patients.




Pr Fabienne Tamion




Sources :

1. Atherton PJ, Etheridge T, Watt PW, et al. Muscle full effect after oral protein: time-dependent concordance and discordance between human muscle protein synthesis and mTORC1 signaling. Am J Clin Nutr 2010;92:1080–1088

2. Gonzalez JT, Dirks ML, Holwerda AM, et al. Intermittent versus continuous enteral nutrition attenuates increases in insulin and leptin during short-term bed rest. Eur J Appl Physiol 2020; 120:2083–2094

3. McNelly AS, Bear DE, Connolly BA, et al. Effect of intermittent or continuousfeed on muscle wasting in critical illness: a phase 2 clinical trial. Chest 2020; 158:183–194.

4. Baggs JE, Hogenesch JB. Genomics and systems approaches in the mammalian circadian clock. Curr Opin Genet Dev 2010; 20:581–587

5.Jamshed H, Beyl RA, Della Manna DL, et al. Early time-restricted feeding improves 24-h glucose levels and affects markers of the circadian clock,aging, and autophagy in humans. Nutrients 2019; 11:1234.

6. Van Dyck L, Casaer MP, Gunst J. Autophagy and its implications against early full nutrition support in critical illness. Nutr Clin Pract 2018; 33:339–347

7. Vanhorebeek I, Gunst J, Derde S, et al. Insufficient activation of autophagy allows cellular damage to accumulate in critically ill patients. J Clin Endocrinol Metab 2011; 96:E633–E645

8. Hermans G, Casaer MP, Clerckx B, et al. Effect of tolerating macronutrient deficit on the development of intensive-care unit acquired weakness: a subanalysis of the EPaNIC trial. Lancet Respir Med 2013; 1:621–629.

9. De Bruyn A, Gunst J, Goossens C, et al. Effect of withholding early parenteral nutrition in PICU on ketogenesis as potential mediator of its outcome benefit. Crit Care 2020; 24:536.

10. Goossens C, Weckx R, Derde S, et al. Adipose tissue protects against sepsis-induced muscle weakness in mice: from lipolysis to ketones. Crit Care 2019; 23:236.

11. Stekovic S, Hofer SJ, Tripolt N, et al. Alternate day fasting improves physiological and molecular markers of aging in healthy, nonobese humans. Cell Metab 2019; 30:462–476

12. Van Dyck L, Casaer MP. Intermittent or continuous feeding: any difference during the first week? Curr Opin Crit Care 2019; 25:356–362

13. McNelly AS, Bear DE, Connolly BA, et al. Effect of intermittent or continuous feed on muscle wasting in critical illness: a phase 2 clinical trial. Chest 2020; 158:183–194.

14. Van Dyck L, Vanhorebeek I, Wilmer A, et al. Towards a fasting-mimicking diet for critically ill patients: the pilot randomized crossover ICU-FM-1 study. Crit Care 2020; 24:249

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